Représailles suite à des actions pour la Palestine : le gouvernement italien expulse l’Askatasuna, l’un des plus grands centres sociaux d’Europe


Triste journée à Turin, grande ville du nord de l’Italie, le 18 décembre. Il fait encore nuit quand des gyrophares, des casques et des uniformes bleus encerclent un grand bâtiment rouge vif dans le centre-ville : l’Askatasuna. Un lieu de vie, d’art, de rencontre et d’organisation politique, soudainement expulsé et mis sous scellé.


Devant l'Askatasuna à Turin, un cordon de policiers anti-émeute bloque l'accès au bâtiment et disperse les personnes qui voudraient y retourner.

Il s’agit du centre social baptisé Askatasuna – un mot basque signifiant «liberté» – un superbe et vaste immeuble occupé depuis près de 30 ans. En 1996, des militants et militantes autonomes de Turin avaient investi ce lieu et l’ont transformé au fil des années en un espace décisif pour la vie sociale et politique du quartier, de la ville, et même de tout le nord de l’Italie. Notre équipe a eu la chance de visiter ce centre social avant son expulsion, et avait constaté à quel point il était précieux.

On y trouve une salle de sport, des cantines, des dortoirs, de vastes salles de concert superbement décorées. L’Askatasuna venait en aide aux personnes dans le besoin, distribuait de la nourriture et organisait des activités avec les enfants du quartier ou pour les personnes précaires. Ce centre social était résolument ancré dans la ville, apprécié des habitant·es. On y trouve aussi une bibliothèque et de précieuses archives sur les luttes sociales, une salle de cinéma. Tout pour se cultiver, réfléchir, créer, de manière ouverte et autogérée. Vu de France, où la norme est d’expulser systématiquement les lieux échappant au pouvoir, un tel bâtiment faisait rêver.

Le mouvement des centres sociaux autogérés en Italie est exemplaire, et ses lieux ont été conquis par d’intenses batailles. Dans le sillon de la vague insurrectionnelle qui a secoué l’Italie dans les années 1970, et dans l’effervescence du mouvement autonome, des collectifs ont réquisitionné des bâtiments vides, et en ont fait des quartiers généraux pour s’organiser. Dans la plupart des villes italiennes, on trouve encore des centres sociaux, qui sont autant d’îlots de résistance et de refuges, chaque lieu ayant une affinité politique et des spécialités. Turin est historiquement une ville italienne de pouvoir – elle a été la première capitale de l’Italie unifiée – mais elle a aussi été un puissant bastion ouvrier avec les usines automobiles de Fiat, et enfin l’un des centres de l’autonomie italienne. Aujourd’hui encore, cette ville se démarque par ses résistances en tout genre.

Situé en bordure du Pô, l’Askatasuna a donc traversé trois décennies, accompagnant les luttes : contre le projet ferroviaire Lyon-Turin porté par le mouvement No Tav. Contre le racisme et le colonialisme. Aux côtés des diverses mobilisations sociales et anticapitalistes. Ce lieu dérangeait, il avait déjà été perquisitionné et attaqué par les fascistes, mais il était justement en train d’obtenir une régularisation auprès de la mairie de centre-gauche. Le conseil municipal de Turin avait en effet adopté en 2024 une résolution reconnaissant l’immeuble occupé comme un «bien commun», et un processus de négociation était en cours. Le 18 décembre, le jour même de l’assaut policier, la mairie a lâchement retiré son accord, au prétexte d’une prétendue «violence» des occupant·es.

Qu’est-ce qui a motivé ce retournement brutal ? La question palestinienne, utilisée en Italie comme en France comme un argument justifiant tous les déchaînement répressifs.

Fin novembre, les locaux du journal La Stampa, équivalent du Figaro et relais des idées colonialistes et génocidaires, ont été envahis lors d’une manifestation pour la Palestine. L’intérieur de la rédaction a été sérieusement chahutée. Cette action a été massivement commentée par les autorités, qui ont accusé, sans preuve, l’Askatasuna d’être responsable. En réalité, le gouvernement de Meloni cherchait surtout à se venger de l’immense mouvement pour Gaza qui s’est manifesté ces derniers mois en Italie, avec des millions de personnes dans les rues, des grèves et des blocages. Il fallait donc faire un exemple. Et quoi de plus emblématique qu’un centre social aussi important ?

La sinistre DIGOS, la police politique italienne, équivalent de notre DGSI, mais avec des méthodes encore plus mafieuses, accompagnée de 200 policiers anti-émeutes, est donc entrée dès l’aube dans l’immeuble rouge, a perquisitionné les lieux puis a barré les accès du bâtiment, chassant par la même occasion les personnes qui y habitaient.

Le soir, un rassemblement devant l’Askatasuna a été réprimé à coups de canon à eau. Cette opération s’inscrit dans une offensive plus large contre les lieux autogérés : fin août, 200 policiers avaient expulsé, de la même manière, le centre social Leoncavallo, à Milan. La fermeture de l’Askatasuna est une étape supplémentaire franchie par le gouvernement italien contre le mouvement social et les espaces d’organisation.

Nous adressons, depuis la France, tout notre soutien à celles et ceux qui se tiennent debout en Italie. Pour un centre social expulsé, que dix autres fleurissent.

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