2025 : L’année qui tranche la liberté d’expression


“On me dit que je risque la prison pour ce tableau” : Macron porte plainte contre un artiste qui dénonce le scandale sanitaire et colonial du chlordécone en Guadeloupe


L'œuvre de blow dans une exposition sur le chlordécone : un homme noir tenant à bout de bras la tête décapitée d'Emmanuel Macron

Lors de son discours du 31 décembre, retransmis sur France 2, TF1, M6, France 3, ainsi que sur quatre chaînes d’information en continu, Macron déclarait : «En 2025 […] je vous demanderai aussi de trancher certains sujets déterminants». Le président voulait faire de 2025 une année qui tranche, le voilà servi. Un peintre antillais l’a pris au mot.

Le tableau de l’artiste guadeloupéen Blow représente sa tête décapitée, tenue à bout de bras par un homme noir : on peut difficilement faire plus tranchant. C’est même une représentation très républicaine sur le plan historique, puisqu’elle semble célébrer l’anniversaire de la décapitation de Louis XVI, survenue au mois de janvier 1793.

On apprend pourtant mercredi 5 février que le président Macron a porté plainte contre X : visiblement, l’œuvre n’est pas à son goût. L’ironie était pourtant belle. Sur son compte, l’artiste Blow a réagi avec des #jesuischarlie #charliehebdo #liberté et a dénoncé le deux poids deux mesures de la pseudo-liberté d’expression en France. De nombreuses vidéos circulent pour ridiculiser cette plainte.

Depuis 2017 les plaintes pour des outrages au président de la République se sont multipliées, alors qu’elles avaient disparu sous la Cinquième république, à l’exception notable de la pancarte “casse toi pov’ con” brandie au salon de l’agriculture, pour laquelle Sarkozy avait porté plainte en 2008. Mais le président Macron semble avoir une dent contre la liberté d’expression (et l’autodérision).

En 2020, pendant le confinement, plusieurs personnes ayant eu l’insolence de déployer des pancartes ou des banderoles avec le mot « macronavirus » avaient été poursuivies et parfois placées en garde à vue. En 2021, Macron avait attaqué en justice un afficheur varois qui l’avait représenté en Adolf Hitler, ainsi que la gérante d’un escape game, qui avait fini en garde à vue pour un jeu où il fallait “tuer Macron”. Dans le même temps, l’extrême droite publiait des vidéos appelant à « tuer des gauchistes », armes à la main, en toute impunité.

Lors des manifestations contre la réforme des retraites, la police avait multiplié les arrestations pour crimes de lèse-majesté : un homme de 77 ans pour une banderole “Macron, on t’emmerde”, une femme pour l’avoir traité “d’ordure” sur sa page Facebook. À Grenoble, une enquête avait été ouverte pour un mannequin avec le visage de Macron auquel le feu avait été mis.

En 2020, le président Macron déclarait suite à l’assassinat de Samuel Paty : “Nous avons des droits : la liberté d’expression, de caricature, qui a fait couler tant d’encre”. Mais la liberté d’expression, ce n’est pas pour tout le monde.

Le tableau en question fait partie d’une exposition intitulée «Exposé.e.s au chlordécone» démarrée depuis janvier au Centre des arts à Pointe-à-Pitre, bâtiment occupé par un collectif d’artistes, le Kolèktif Awtis Rézistans. Intitulé “Non-lieu”, l’œuvre fait référence au non-lieu prononcé en janvier 2023 suite au scandale du chlordécone. Scandale au sujet duquel Macron a multiplié les déclarations mensongères et les provocations ces dernières années. En septembre 2018, il annonçait qu’il n’y aurait pas de dédommagements pour la population contaminée et qu’il n’y avait « aucune preuve scientifique établie” du lien avec le cancer de la prostate.

En 2019, il déclarait : “Il ne faut pas dire que c’est cancérigène. Il est établi que ce produit n’est pas bon, il y a des prévalences qui ont été reconnues scientifiquement, mais il ne faut pas aller jusqu’à dire que c’est cancérigène parce qu’on dit quelque chose qui n’est pas vrai et qu’on alimente les peurs”. Suite à ce non-lieu, le dossier est arrivé devant la Cour de cassation depuis le 5 février de cette année.

Pour rappel, le chlordécone est un pesticide utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993, alors que sa dangerosité avait été établie dès les années 70. 90% de la population de la Guadeloupe et de la Martinique est contaminée au Chlordécone, et on y trouve le taux de cancer de la prostate le plus élevé au monde. Malcom Ferdinand, auteur de “S’aimer la terre, se défaire de l’habiter colonial” explique qu’au delà du scandale sanitaire, l’usage du chlordécone est révélateur de “l’exploitation massive du vivant et implique l’effacement de toutes celles et ceux qui ne ressemblent pas aux colonisateurs”.

La vraie violence est là. Mais il faut faire taire les voix qui s’élèvent contre cette violence. Quitte à les faire taire à coups de procès. Le pouvoir est tellement affaibli qu’il ne peut plus supporter la moindre critique qui le remet en cause.

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.

Laisser un commentaire