39 ans après la catastrophe de Tchernobyl : ni oubli, ni pardon


Le site ukrainien de Tchernobyl reste dangereux, et se trouve au cœur de la guerre déclenchée par la Russie. Une action a été organisée à Nantes pour rendre hommage aux victimes de la catastrophe


Place Royale à Nantes : les portraits exposés des liquidateurs de Tchernobyl, morts des radiations.

C’était il y a 39 ans, le 26 avril 1986. Le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, près de Kiev en Ukraine, explosait. D’énormes quantités de substances radioactives étaient projetées dans l’atmosphère.

Il a fallu attendre le lendemain pour que les autorités soviétiques organisent l’évacuation de toute la population environnante, et créent une zone d’exclusion de 30 kilomètres. En urgence, des centaines de milliers de «liquidateurs», des personnes recrutées dans toute l’URSS, étaient envoyées sur place pour éteindre l’incendie radioactif qui faisait rage, dans des conditions catastrophiques, équipées de protections dérisoires.

Entre 600.000 et 900.000 «liquidateurs» se sont relayés pendant des semaines pour endiguer le désastre : il s’agissait d’étouffer la fusion en cours dans le cœur du réacteur. Comme celui-ci menaçait de s’enfoncer dans le sol, un tunnel de 167 mètres de long a été creusé sous la centrale pour y construire une dalle de béton. Une deuxième explosion catastrophique était ainsi évitée, mais au prix de l’irradiation de centaines de milliers de personnes.

Au bout de 6 mois, un énorme sarcophage de béton était posé sur la centrale, pour confiner les matières radioactives. Il s’est rapidement dégradé, et menaçait même de s’effondrer, ce qui aurait à nouveau rejeté dans l’air des poussières radioactives. À l’intérieur de ce sarcophage, le cœur fondu est encore radioactif pour des milliers d’années. L’humanité sait comment allumer un feu atomique, mais pas comment l’éteindre.

En 1992, une immense structure métallique était conçue pour être posée par dessus le sarcophage. Sa construction ne s’est terminée qu’en 2018, et elle est prévue pour durer 100 ans. En attendant un futur démantèlement du réacteur, que personne n’est actuellement en mesure de mettre en œuvre. 39 ans après l’explosion, la catastrophe de Tchernobyl est donc toujours en cours.

Samedi 26 avril 2025, à Nantes, sur la Place Royale, des dizaines de visages sont apparus. Les portraits des liquidateurs qui ont donné leur vie pour sauver celles des autres : un grand nombre sont morts dans les mois qui ont suivi l’explosion, d’autres souffrent toujours de maladies chroniques. C’est pour leur rendre hommage que le réseau «Sortir du nucléaire» a exposé leurs photos dans l’espace public.

On estime que sur environ 800.000 liquidateurs intervenus sur le site, 112.000 à 125.000 étaient décédés prématurément. Quant aux substances radioactives, elles ont touché principalement la Biélorusse, l’Ukraine et l’Ouest de la Russie, mais elles se sont aussi dispersées, à 53%, dans le reste de l’Europe. 10 millions de personnes auraient été exposées.

En France, pays pionnier de l’industrie nucléaire, aucune distribution de pastilles d’iode – qui peuvent prévenir certains effets des radiations – n’a eu lieu, et aucune consigne concernant les aliments contaminés n’a été donnée. C’est l’omerta qui règne toujours sur les conséquences de ce drame. Il a fallu cinq années à l’OMS pour reconnaître, péniblement, un bilan d’une «cinquantaine de morts» liés à la catastrophe, sans rendre de rapport officiel. L’Académie des sciences de New York recensera pourtant 985.000 morts provoqués par Tchernobyl entre 1986 et 2001 dans le monde.

En avril 2022, au moment du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un immense feu de forêt s’est déclaré autour de Tchernobyl, faisant fortement augmenter le taux de radioactivité de la «zone d’exclusion». Les flammes ont parcouru les bois autour du réacteur pendant des jours. Selon Greenpeace Russie, l’un des feux se trouvait à un kilomètre de l’usine elle-même. Le plus grand incendie couvrait 34.000 hectares, tandis qu’un second foyer avait une superficie de 12.000 hectares. L’Ukraine y a envoyé des centaines de pompiers ainsi que des avions et des hélicoptères.

Au cœur de cette zone se trouve une «forêt rousse», interdite d’accès depuis 1986. Rousse parce que la radioactivité a anéanti la chlorophylle qui donne leur couleur verte aux pins. C’est l’un des lieux les plus contaminés du monde. Pendant des semaines, les soldats russes y avaient creusé des tranchées et monté des fortifications, remué le sol radioactif, soulevé des poussières avec leurs blindés.

En février 2025, des attaques de drones ont visé la centrale de Tchernobyl, et le dôme qui protège la centrale a subit des dégâts. La presse vient de révéler que ces dommages seraient «bien plus graves qu’annoncé : 70% de la membrane de protection est endommagée». Plus à l’est, la plus grande centrale nucléaire d’Europe, celle de Zaporijjia, a été au cœur de plusieurs combats et a reçu des tirs à de nombreuses reprises depuis 2022.

En France, Emmanuel Macron annonce régulièrement qu’il veut construire de nouvelles centrales nucléaires en France à court terme, et en projette huit supplémentaires d’ici 2050. Il souhaite «prolonger tous les réacteurs qui peuvent l’être» au-delà de 50 ans, alors que leur durée de vie initiale était de 40 ans maximum. Et il a même promis une série de SMR, des «Small modular reactors», ou «petits réacteurs modulaires». La présidente de la région Pays-de-la-Loire, Christelle Morançais, aimerait en implanter un près de Nantes. Dans un contexte de montée en guerre, un territoire parsemé de centrales nucléaires est extrêmement vulnérable.

39 ans après Tchernobyl, il semble que la durée incommensurable des dangers que fait courir industrie nucléaire est fondamentalement incompatible avec la durée des vies humaines et la vision à court terme des dirigeants.

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