«Les violences sexuelles comme armes de maintien de l’ordre»


429 victimes, 215 agresseurs en uniformes recensés : comment les forces de l’ordre violent et agressent sexuellement en toute impunité


429 victimes, 215 agresseurs en uniformes recensés : comment les forces de l’ordre violent et agressent sexuellement en toute impunité

Il aura fallu un an à Leïla Miñano, Sarah Benichou et Sophie Boutboul pour réaliser cette enquête révélatrice d’un système : celui des violences sexuelles utilisées par les forces de l’ordre comme véritable arme de domination et de maintien de l’ordre, selon les mots de Leïla Miñano. En partenariat avec L’œil du 20h de France 2 et d’une deuxième enquête du quotidien Libération, en interrogeant victimes, avocat-es et forces de l’ordre, ce sont 429 victimes qui sont recensées par le média Disclose. 76% de femmes, 6% d’hommes, 18% de personnes mineures.

Précision d’importance, il ne s’agit là bien sûr que des affaires pour lesquelles les victimes ont porté plainte. Or, quand on sait qu’une petite minorité de victimes de violences sexistes et sexuelles dépose plainte, encore moins lorsque l’agresseur est un représentant de l’autorité publique, on ne peut que penser aux milliers de victimes anonymes. «Allez porter plainte» nous rabâchent les Jean-Michel-j’ai-réponse-à-tout. Sauf que, spoiler alert, la police n’est pas là pour vous protéger. Faire respecter «l’ordre» et la «sécurité» d’une société patriarcale et raciste passe nécessairement par un contrôle accru du corps de celles et ceux qu’elle entend dominer.

Les femmes en situation de vulnérabilité, des cibles idéales pour des agresseurs souhaitant asseoir leur domination

Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, sinon par leur intolérable sordidité. Et surtout par un fait incontestable : les agents impliqués ont systématiquement utilisé le pouvoir de l’autorité dont ils disposent pour arriver à leur fin. Comme toujours, le viol est avant tout un acte de domination. Disclose révèle notamment l’histoire de Manon, jeune mère de 28 ans qui se rend au commissariat de Toulouse pour chercher de l’aide pour protéger sa fille face à son mari violent. Le policier Jean-Pierre F. l’accueille dans son bureau, la prend dans ses bras, puis «bloque la porte, lui attrape la tête, sort son sexe en érection et force la fellation». Elle porte plainte, aux côtés de 5 autres victimes du même policier.

L’enquête révèle que 57 des victimes étaient venues porter plainte au commissariat pour d’autres faits. Des femmes en situation de grande vulnérabilité venues chercher de l’aide donc. Aller porter plainte pour des faits de violence est un moment très éprouvant. La violence que cela représente de se rendre jusqu’à un commissariat de police, où le traitement des victimes de violences sexistes et sexuelles est d’une nullité absolue, une humiliation de plus dont on se passerait bien.

Quand on sait que seuls 1% des viols sont condamnés, le fait d’aller porter plainte est un choix douloureux pour les femmes. Un choix qui se transforme en double peine lorsqu’on se retrouve victime d’une nouvelle agression. Libération a notamment recueilli le témoignage de Joanna, 22 ans venue au commissariat du XIVème arrondissement de Paris pour porter plainte pour viol, et dont le numéro de téléphone a été utilisé par le policier qui a recueilli son témoignage pour envoyer des photos de lui nu. «C’est comme si j’avais été violée une deuxième fois» déclare-t-elle.

À Angers, le policier Laurent D. cible lui les femmes les plus précaires, de nationalité étrangère. Il leur demande des faveurs sexuelles, en échange d’un avancement de leur dossier : «Oh, mais tu sais, moi, je peux faire avancer ton dossier, je connais le procureur, je connais telle ou telle personne qui fera que ton dossier sera mis en haut de la pile pour être traité». Ayant récupéré leur adresse dans le fichier de la gendarmerie, il se rend ensuite au domicile des victimes, habillé en civil. Il fera au moins une dizaine de victimes, entre 2018 et 2019. Il était en outre connu pour des faits de harcèlement sexiste et sexuel envers ses collègues sexisées. Les collègues de ces prédateurs sexuels sont d’ailleurs les premières victimes, ou tout du moins celles qui portent le plus souvent plainte. Ainsi à Toulouse, un policier formateur a agressé 24 femmes en une année, la plupart stagiaires.

Il s’agit donc bien d’un système de domination des femmes en situation de vulnérabilité, traitées comme de simples proies.

Dans les quartiers populaires, les jeunes hommes racisés en ligne de mire

Dans les quartiers, l’agression sexuelle est utilisée comme un véritable outil de domination envers des populations considérées comme indésirables, et qu’il faudrait «mater» pour qu’elles «rentrent dans le rang». Elles sont quasiment systématiquement accompagnées de propos racistes.

En 2017 à Aulnay-sous-Bois en région parisienne, Théo est violé à coups de matraque métallique en pleine rue, et est aujourd’hui handicapé à vie. Les policiers n’écopent que de sursis. Ces violences font système : viser les parties intimes est une manière d’humilier, de faire peur, de voler la dignité des personnes considérées comme des ennemis intérieurs. 45 personnes au moins ont été victimes de ces violences sexuelles lors de contrôles d’identité et «palpations de sécurité».

En 2015, ce sont 18 jeunes âgés de 14 à 23 ans qui portent plainte contre des membres de la brigade de sécurité des quartiers (BSQ) du XIIème arrondissement de Paris. Ils révèlent notamment des contrôles d’identité accompagnés de fouilles à nu (pourtant strictement encadrées), pénétrations anales ou mains sur les testicules, assortis de propos racistes : «sale noir», «singe». Condamnés à des peines avec sursis en 2018, les policiers sont finalement relaxés en appel. L’avocat des victimes, Slim Ben Achour parle d’un «contrôle social dirigé vers une partie de la population».

En 2015 toujours, à Drancy dans le 93, Adam se retrouve plaqué sur la banquette arrière d’un véhicule de police par deux agents, pendant qu’un troisième le viole avec sa matraque. «J’ai dit non, j’ai crié, j’ai pleuré» raconte Adam. «Tu te souviendras de nous» lui répondent les policiers municipaux. Il ressort de l’hôpital avec 10 jours d’ITT dus à une lésion anale. Placé en garde à vue pour viol, l’agent municipal voit la qualification ramenée à de simples «violences volontaires». Il travaille toujours à ce jour.

En février 2025, quatre policiers municipaux sont placés en garde à vue pour l’agression sexuelle d’un jeune homme de 23 ans lors de son interpellation. «Certains m’ont glissé un doigt dans l’anus soi-disant pour trouver de la cocaïne. J’ai hurlé au viol» explique-t-il. Les quatre policiers sont défendus becs et ongles par leurs collègues, mais aussi par le maire RN de la ville Louis Alliot.

En manifestation ou en garde à vue, des zones de non-droit

Il s’agit de moments précis où les forces de l’ordre profitent de leur toute puissance. Depuis 2012, l’enquête révèle qu’au moins 30 femmes ont été victimes de violences sexuelles lors d’un contrôle d’identité, une interpellation ou en garde à vue.

À Nantes en 2023, pendant le mouvement contre la détestée réforme des retraites, le mouvement étudiant organise un blocage du périphérique. Un groupe de jeunes se retrouve encerclé par des agents cagoulés et armés. Ces derniers se livrent à des agressions sexuelles caractérisées sur les étudiantes : «J’ai senti ses doigts s’insérer dans la fente de mon appareil génital» témoigne l’une d’elle, accompagnées de propos révoltants : «Faut que je fouille dans ta culotte, t’es sale, ça me dégoûte, tu sens mauvais», «je vais te fouiller dans la chatte». La plainte a été classée sans suite le 2 décembre 2024. Les policiers violeurs pourront continuer d’exercer en toute impunité.

Jeanne, étudiante de 26 ans, subit également une agression sexuelle lors d’une fouille pendant les manifestations contre la réforme des retraites. «Une policière a mis sa main à l’intérieur de ma culotte au niveau de mes fesses». Jeanne se défend, dénonce cette agression sexuelle. La policière lui rétorque «Genre toi tu sais ce que c’est d’être violée». Toujours cette volonté d’humilier. Les autres policiers témoins de la scène, eux, se tordent de rire.

Pour ces agissements, il s’agit avant tout de faire peur et de traumatiser les manifestants et manifestantes.

En 2018 au sous-sol du tribunal de Toulon, Claude M., brigadier-chef de 55 ans, impose une fellation à Angélique, 36 ans, effondrée en apprenant sa prochaine incarcération. Elle le supplie de pouvoir appeler sa fille pour pouvoir la prévenir. Il l’emmène dans les toilettes, lui assène : «Fais la gicler cette salope, après tu pourras téléphoner», rajoutant à la violence de l’enfermement, la violence de l’agression.

L’impunité organisée

Du côté des agresseurs (215 recensés), tous les grades sont représentés, gendarmes comme policiers. Ils ont tous sans exception fait pression sur leurs victimes en utilisant le pouvoir à leur disposition. 40% ont fait plusieurs victimes. À l’heure actuelle, il est aberrant de constater qu’aucune loi n’interdit factuellement à un policier ou gendarme d’avoir des relations sexuelles avec une personne placée en garde à vue ou en détention. En sachant que ces moments représentent en soi un acte de privation de liberté souvent humiliant et traumatisant, y ajouter le vécu de violences sexuelles rend l’expérience insoutenable. Ces violences sont en outre presque systématiquement couvertes par les collègues des agents incriminés, comme lors de l’affaire de Perpignan mentionnée plus haut.

Le ministère de l’Intérieur choisit de laisser faire : «Pas la moindre circulaire ou note interne consacrée au sujet» n’a jamais été envoyée révèle encore Disclose, qui explique que la seule réponse du ministère a été «une enquête est ouverte dès que l’administration a connaissance d’une plainte pour des faits de violences sexuelles».

Les mêmes enquêtes qui aboutissent quasiment systématiquement à un non-lieu ? Aucune enquête sérieuse n’a jamais été réalisée sur les violences sexistes et sexuelles au sein de la police. «La direction générale de la police n’a enregistré que 63 condamnations de fonctionnaires pour des faits allant du harcèlement sexuel au viol au cours des dix dernières années». 63.

Depuis 2021, seuls 18 policiers ont été sanctionnés pour des faits de violences sexuelles. Seulement 10 expulsés de l’institution ou mis à la retraite. En 2023, 46 gendarmes ont été sanctionnés. Combien ont été radiés ? Seulement 3. Il s’agit bien d’une impunité générale organisée. Disclose rappelle également un fait capital : les sanctions envers les forces de l’ordre sont validées par les plus hautes instances. «Le préfet examine les blâmes, les sanctions contre des sous-officiers sont étudiées par la direction générale de la police nationale, quant aux décisions prises pour des officiers, elles remontent jusqu’au ministère de l’intérieur. Enfin, quand le dossier implique un commissaire de police, c’est à la Présidence de la République de trancher».

Mais qu’attendre d’un président de la République qui adule les violeurs comme Gérard Depardieu et les fait entrer au gouvernement comme Gérald Darmanin ? Le même Gérald Darmanin qui est aujourd’hui à la tête du ministère de la justice ? Une chose est sûre, l’impunité des «forces de l’ordre» a de beaux jours devant elle.

Une adresse mail est à disposition pour toute personne qui aurait été victime ou témoin de ces violences policières : metoopolice@disclose.ngo, jusqu’au 30 septembre 2025.

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