Chronique de l’impunité policière
« Allez porter plainte » : c’est la phrase fétiche adressée aux victimes de d’agressions sexuelles. Sous-entendu : si les violeurs ne sont pas condamnés, ce n’est pas lié à des causes structurelles d’une société patriarcale qui protège ces violences, mais la faute des victimes elles-mêmes qui devraient porter plainte pour changer les choses. Après tout, la police et la justice sont là pour ça, non ? Pour protéger la population (spoiler alerte : non).
C’est bien mal connaître la violence que cela représente pour une victime de se rendre jusqu’à un commissariat de police, où le traitement des victimes de violences sexistes et sexuelles est d’une nullité absolue, une humiliation de plus dont on se passerait bien. Quand on sait que seuls 1% des viols sont condamnés, pourquoi s’infliger ça ? En outre, lorsqu’on défend une vision de la justice débarrassée de la police et anticarcérale, le fait de se rendre au commissariat porter plainte peut entrer en contradiction avec nos convictions. Et que dire quand les coupables font eux-mêmes partie de l’institution policière ?
Ce fut le cas de quatre étudiantes nantaises, victimes d’agressions sexuelles lors d’une nasse brutale de la police le 14 mars 2023, avec fouilles au corps illégales pendant le mouvement contre la réforme des retraites. À l’époque, le mouvement social, très puissant et soutenu par l’écrasante majorité de la population, subissait une répression inouïe.
Ce jour là, un blocage du périphérique est organisé par le mouvement étudiant. Tout se passe bien, le groupe se disperse. Mais la police organise un guet-apens plus loin, au bord de l’Erdre, sur un sentier isolé où passent les étudiant-es pour rentrer à la fac. Les agents débarquent cagoulés et lourdement armés.
Les victimes décrivent à Médiapart «des palpations avec les mains à l’intérieur des sous-vêtements» par une policière. Leur avocate parle de faits «hallucinants» accompagnés «de propos inadaptés, insultants, humiliants, dans un contexte de grande tension.» Par exemple : «Faut que je fouille dans ta culotte, t’es sale, ça me dégoûte, tu sens mauvais», «Je vais te fouiller dans la chatte».
L’une d’elle témoignera : «J’ai senti ses doigts s’insérer dans la fente de mon appareil génital». Pour rappel, l’article 222-23 du code pénal dispose que : «Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol».
Cette opération destinée à terroriser et humilier la jeunesse contestataire est illégale. La fouille au corps est strictement encadrée par des articles du Code de la sécurité publique, rappelle l’avocate. Elle ne peut en aucun cas se justifier, ni être pratiquée dans ces conditions. À l’époque, en plein effervescence sociale, les faits avaient fait la Une de la presse nationale, été évoqués jusque sur les bancs de l’Assemblée. On pouvait s’attendre à ce que la justice n’enterre pas l’affaire aussitôt. En effet, elle aura à peine attendu un peu pour cela.
Le 2 décembre 2024, un an et demi après les faits, nous apprenons que la plainte est classée sans suite. Les policiers violeurs pourront continuer d’exercer en toute impunité. «À l’heure où on vient nous dire que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est la priorité, la grande cause nationale, je ne comprends pas qu’on traite ainsi un tel dossier dans lequel des jeunes filles dénoncent des gestes à caractère sexuel, et des agressions sexuelles de la part de fonctionnaires de police» dénonce l’une de leurs avocates, Aurélie Rolland. Les victimes accompagnées de leurs avocates ne comptent pas en rester là.
Ces violences sexuelles commises par la police ne sont pas des faits isolés. Entre 2013 et 2015 à Paris, des adolescent-es non-blanc-hes d’un quartier populaire, âgé-es de 14 à 18 ans, 16 garçons et 2 filles, assuraient avoir vécu des contrôles d’identité à répétition qui dérapaient. Ils et elles disaient avoir essuyé des insultes racistes, des brûlures au gaz lacrymogène et avoir subi des palpations de sécurité qui se terminaient par «un doigt dans les fesses». Toutes ces agressions auraient été commises par des policiers qui se surnomment les «Tigres».
En 2017, le jeune Théo à Aulnay-sous-Bois était violé à coups de matraque métallique en pleine rue. Théo est désormais handicapé à vie, les policiers violeurs ont écopé de sursis. Pendant le mouvement des retraites, un mois seulement après l’agression des étudiantes, et toujours à Nantes, un homme recevait un tir de LBD dans l’entrejambe et perdait un testicule. Ces violences font système : viser les parties génitales est une manière d’humilier, de faire peur, de voler la dignité des personnes considérées comme des ennemis intérieurs.
À l’intersection entre l’impunité généralisée des violeurs dans une société patriarcale, où la culture du viol fait rage, et l’impunité de la police, cette affaire nous rappelle que la police et la justice ne sont pas là pour défendre les victimes, mais pour nous broyer. Faire respecter « l’ordre » et la « sécurité » d’une société capitaliste patriarcale passe nécessairement par un contrôle accru du corps de celles et ceux qu’elle entend dominer.
Celles et ceux qui sortent du rang n’ont aucune pitié ni justice à en attendre.
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