24 mars : jour de colère à Nantes, le mouvement s’intensifie !


«Le mouvement s’essouffle» répètent les Journaux Télévisés avec gourmandise, le 24 mars au soir. Nantes fait figure d’exception : le nombre de manifestants a encore augmenté par rapport à la précédente manifestation : nous étions au moins 8000. La répression aussi, avec 19 interpellations et des dizaines de blessé-es. Retour en quatre temps sur cette grande journée hors norme, qui avait l’odeur du feu, du sang et du lacrymogène.


Le temps du blocage

Dès l’aube, une centaine d’étudiant-es s’affaire à bloquer le campus de la fac de Nantes. Plusieurs salles de classe sont déménagées, d’importantes barricades de chaises, de tables et de mobilier divers bloquent les entrées des bâtiments du campus – à l’exception de la fac de droit. Un feu est allumé, le piquet de grève rassemblera de nombreux étudiants et lycéens jusqu’à la manifestation. Le président de l’université finira par fermer administrativement l’université de Lettres et Sciences Humaines pour la journée. Pendant ce temps, de nombreux lycées nantais sont à nouveau bloqués. Les lycéens ont décidé de converger vers le centre ville en perturbant au maximum les flux de circulation, depuis Bellevue – à l’ouest – et depuis le sud de Nantes. Habile. Au nord, des affrontements éclatent à nouveau devant les lycées Monge et Arago, où les flics chargent, gazent et tirent sur les lycéens. En lisière de la fac la police, suréquipée, bloque les accès et fait des contrôles au faciès. Avant même le début de la manifestation, pas moins de sept lycéens sont déjà en garde-à-vue. Des dizaines d’autres viendront se réfugier autour des piquets de grève de la fac.

Le temps du défilé

Parti de la fac, le cortège lycéen et étudiant arrive à 11 heure précise au point de rendez-vous de la manif syndicale. Le défilé a déjà démarré, en avance, pour permettre à la CGT et ses bataillons de drapeaux d’ouvrir le bal devant les jeunes. Comme d’habitude, l’ordre de la manifestation est rapidement chamboulé. La CGT se vengera en ralentissant soudainement son cortège, créant de facto deux manifestations distinctes. Les policiers sont présents en nombre, à chaque intersection de la rue de Strasbourg. C’est la toute première rue empruntée pour le parcours. Une vraie provocation. Alors que des gendarmes reçoivent un peu de peinture, et que le cortège défile depuis 10 minutes à peine, une double charge éclair, violente, de la BAC et de policiers en armure prend en étau les manifestants et casse la manif en deux. L’objectif des flics : arracher deux chariots remplis de matériel défensif : boucliers, casques, banderole renforcée, amenés suite aux violences policières de la semaine dernière. Il faudra donc continuer à défiler sans aucun moyen de protection face à la violence d’État. On compte déjà plusieurs blessés, dont un lycéen qui saigne du visage et des manifestantes choquées après avoir été frappées. Deux personnes supplémentaires sont arrêtées. Au bout d’une heure à peine, et au terme d’un bien morne défilé, la manifestation syndicale échoue mollement au niveau de l’arrêt Commerce. On apprend qu’un autre morceau du défilé a carrément stoppé sa marche manif au bout d’un quart d’heure. Un nouveau cortège, essentiellement jeune et déterminé, se forme et repart. Il n’est encore que midi.

Le temps de l’émeute

On se rend tou-te-s compte qu’il reste finalement beaucoup de monde a vouloir continuer. Visiblement, la tête de manif veut de nouveau aller vers le commissariat en empruntant les bords de l’Erdre, mais une pluie de grenades accueille les manifestant-es Cours Saint Pierre. La police charge. Un manifestant resté en arrière pour soigner des lycéennes est tabassé, il saigne abondamment du visage. Il sera embarqué. Alors qu’une vidéo scandaleuse d’un lycéen parisien frappé par un lâche en uniforme tourne en boucle dans les médias, ce sont des dizaines d’images de ce type que nous portons gravés dans nos mémoires ce 24 mars.

Une ligne de véhicules de flics est caillassée. Le cortège est coupé, puis ressoudé, et repart vers Bouffay où des banques sont esquintées. Un repli commun vers la fac et les quartiers nord, tous ensemble, semble se dessiner, d’autant plus que la ZAD a invité les lycéens et tout ceux qui veulent à venir manger des crêpes à l’amphi occupé. La tension retombe un peu.

Arrivé pont de la Motte Rouge, juste en face du commissariat central où sont enfermés les arrêtés de la matinée : encore un dispositif policier délirant. Sans qu’il n’y ait le moindre geste de la part des manifestants, une balle en caoutchouc vient rebondir sur le corps d’un lycéen et roule devant les premiers rangs. Ce sera le début d’une bataille rangée face au commissariat pendant une partie de l’après-midi. Des voitures sont mises en travers de la route et de la voie de tram, une barricade est enflammée, la voie est dépavée. Des centaines de personnes se tiennent, résistent au gaz et aux charges. Beaucoup de très jeunes ont compris qu’il fallait s’équiper de protections pour les yeux et le visage. Flics, vous nous rendez résistants.

Plus haut, des civils de la BAC attaquent le cortège en traîtres depuis une petite rue, et traînent au sol deux manifestants en jetant des grenades à effet de souffle dans la foule. Ils reçoivent une pluie de projectiles et ripostent de plus belle. Une fusée de détresse les fera rentrer chez eux. L’ambiance est électrique, à mi-chemin entre une émeute lycéenne et une révolte de quartier. À nouveaux deux cortèges sont séparés. Ils se ressoudent au niveau du rond point de Michelet, lui aussi dépavé. Une voiture de flic doit partir en trombe, coursée par les manifestants les plus audacieux. Plus loin, l’énorme cohorte policière suit le cortège qui remonte vers les facs. Les barricades installées en chemin, sur les ronds-points et le tram, sont éphémères. Nantes, qui fait partie des villes de France les plus mobilisées, s’apprête cependant à payer un lourd tribut pour sa résistance.

Le temps du siège policier

Après le siège du commissariat par les manifestant-es, le siège de l’Université par la police. Une détonation sourde puis un bruit d’éclat de verre. La vitre de l’arrêt de tram «facultés» est brisée par un tir policier. Les flics viennent d’envoyer une grenade lacrymogène en tir tendu, à hauteur de tête, sur des gamins protégés derrière l’aubette. Toute l’après-midi sera sur le même ton : la police de Nantes se venge et fait le siège de l’Université. Des centaines de grenades lacrymogènes sont tirées, en flux presque continu autour de la fac toute l’après-midi. L’odeur acre du gaz se répand jusque dans l’amphithéâtre occupé, où l’on discute avec des occupant-es de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Pendant que des centaines de crêpes sont fabriquées et distribuées et que des images d’affrontement du mouvement anti-CIP de 1986 sont projetées dans l’amphi, d’autres tiennent tête à des centaines de policiers, de gendarmes et à la BAC de Nantes au grand complet. Légalement, la police n’a pas le droit d’entrer sur le campus, elle ceinturera donc la zone jusqu’à 17 heure, sans manquer de lancer ses policiers en civils cogner et interpeler en zone interdite. Le bilan est désormais de 19 arrêtés.

La pression est encore montée d’un cran ce 24 mars, dans les rues de Nantes. Plus de monde, plus de détermination, et malheureusement plus de répression. Mais ce qui s’est vécu nous soude. Le 31 mars, nous seront des millions en France, et des dizaines de milliers dans les rues de Nantes. Il faudra garder la rue pour faire reculer le gouvernement. Nous serons ensemble, dans notre diversité, et il faudra nous protéger collectivement pour que le mouvement dure le plus longtemps possible.


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