Nantes : pas de vacances pour la révolte


Que s’est-il passé le 5 avril ?


Certains médias sont alarmants : Nantes serait la «proie des casseurs», la ville aurait subi un «saccage». D’autres, au contraire, sont carrément flatteurs : «Nantes capitale de toutes les contestations» lit on dans Presse Océan. La vérité est plus simple : il se trouve dans cette ville des milliers de jeunes qui ne reculeront plus face au gouvernement, et qui ont pris goût à l’agitation en cours. Retour sur l’après-midi survoltée du 5 avril.

Le siège du Parti Socialiste ouvert comme une boite de conserve

Nous sommes un mardi, en pleines vacances de Pâques, il est 15h. Les syndicats ont refusé d’appeler à manifester. Une invitation a circulé comme une bouteille à la mer sur les réseaux sociaux 24 heures plus tôt. On peut s’attendre à être quelques centaines, maximum. Assez vite pourtant, c’est plus de mille personnes qui s’agglutinent sur la place, puis plusieurs milliers à partir en cortège. Toute la jeunesse de Nantes s’est donné rendez-vous dans la rue. Le mot d’ordre qui circule : hors de question de s’arrêter après le 31 mars. La foule est très jeune, l’immense majorité des manifestants a moins de 20 ans. Les petits frères sont descendus en masse des quartiers. Des lycéennes ont préparé lunettes de plongée et masques chirurgicaux, au cas où.Quelques étudiants restent également fidèles au poste.

Le matin même, la ministre El Khomri vient de déclarer tranquillement dans les médias que «l’opinion ne doit pas être la seule boussole». La manif défile donc au pas de course derrière une banderole : «La révolte est notre seule boussole». Il y a 5000 personnes, incroyable.

«Libérez Lacrim», «on n’est pas tout seul», «nique la BAC», le mégaphone hurle parfois des slogans inhabituels pour une tête de manif. Ambiance. Arrivé devant le local du Parti Socialiste, cours des 50 Otages, protégé par un large rideau de fer, une disqueuse apparaît. L’audace s’empare de la manifestation : une caméra de surveillance est mise hors d’état et les étincelles crépitent sur le rideau de fer qui fini par s’ouvrir comme une boite de conserve, dévoilant une baie vitrée immédiatement défoncée. La police met en place un étau autour de la foule qui s’agglutine en souriant. Sans aucun geste offensif de la part des manifestants, et alors que beaucoup s’amusent de cette action surprise, une pluie de gaz lacrymogène est envoyée sans sommation. Pas de panique, le cortège se reforme, repart rue de l’Arche Sèche, et remonte rue du Calvaire survolé par un hélicoptère de la gendarmerie.

De l’audace à la furie

Place Graslin, la police protège la rue Crébillon : celle des magasins de luxe. Violence symbolique. Pour la 5ème manifestation consécutive, une rangée de casqués canarde le cortège avec des munitions en tout genre : grenades lacrymogènes en tir tendu, grenades de désencerclement, balles en caoutchouc. Le gazage est particulièrement violent. Un jeune est touché à la tête par un tir. Pour le moment, il n’y a pas eu de casse, et le cortège s’est tenu, mais la colère est palpable. Manifestants gravement blessés aux manifestations précédentes, lourdes peines de prison, ennui, effet de groupe : les raisons de la révolte sont multiples. Après s’être à nouveau reformé sur le quai de la Fosse, le cortège repart en direction de la préfecture. Il est à nouveau massivement gazé rue de Strasbourg.

À partir de là, la manifestation se transforme véritablement en émeute. Une partie du cortège, repoussée vers la gare, monte sur les voies de chemins de fer et caillasse la police. Les trains au départ et à l’arrivée de Nantes seront bloqués pendant plus d’une heure. Sur le Cours des 50 Otages, les banques sont méthodiquement défoncées et mises à sac. Une sorte de furie collective s’empare des manifestants restants. Plus haut, c’est un magasin GO Sport qui est dégradé et dévalisé : des paires de chaussures surgissent de la vitrine éventrée. Des Gavroches en survêtement s’approprient gaiement les produits de l’enseigne. Communisme immédiat. Des barricades sont enflammées aux alentours de la préfecture, un morceau de cortège est pris en tenaille dans le quartier Graslin. La police est sur les dents. Finalement, il reste tout de même quelques centaines de manifestants qui parviennent à se retrouver et à rallier la Place du Bouffay, où commence l’opération «Nuit Debout». 13 personnes ont été interpellées.

«Ou alors ça va péter !»

La manifestation du 5 avril à Nantes a été offensive, c’est une certitude. Des incompréhensions, il y en a eu. C’est, malgré tout, une génération de nantais-e-s qui a décidé de mettre en pratique concrètement – à des degrés divers – le vieux slogan répété en boucle par d’autres générations de syndicalistes : «ou alors ça va péter !».

Sur la Place du Bouffay toujours survolée par hélicoptère, l’ambiance s’apaise mais la foule s’amenuise. Malgré tout, l’occupation de la place est une réussite incontestable : 500 personnes restent pour échanger, des barnums sont édifiés, une cantine et une buvette s’installent, une projection aura lieu dans la nuit. Une compagnie de CRS viendra tester la réaction des occupants en milieu de soirée, puis se repliera. La fête durera, dans la bonne ambiance, autour d’un grand feu jusque tard dans la nuit.

Le dernier mot, une fois n’est pas coutume, nous le laisseront à la CGT 44 qui, sans doute exaltée par les récents événements, explique dans son dernier communiqué officiel que le fait marquant de la mobilisation du 31 mars à Nantes «restera la motivation (la rage !) de plusieurs milliers de jeunes (et quelques moins jeunes) à tenir la rue et faire face à la police, jusqu’à la tombée de la nuit» et qui conclut «cours camarade, le vieux monde est derrière toi !»

Prendre la situation au sérieux, c’est déborder partout ou c’est possible. Samedi prochain 9 avril, toutes et tous dans la rue. D’ici là, la Place du Bouffay sera occupée, pour échanger et organiser la lutte. On va gagner !

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