9 avril à Nantes : le soulèvement, c’est maintenant !


« Il ne s’agit plus, comme aiment le répéter les médias, de «débordements en marge de la manifestation», mais de manifestations en marge des débordements« 


Vitrines de banques recouvertes de plaques en bois, commerces fermés, «Nantes proie des casseurs» en lettres noires sur les affiches. Le centre-ville de Nantes avait une drôle d’allure ce samedi matin. Après la journée électrique du mardi 5 avril, une intense campagne médiatique avait essayé de semer la peur dans le cœur des nantais-e-s. La mobilisation du 9 avril constitue un échec cinglant de cette stratégie de la tension. Le mouvement est plus fort et plus large que jamais. Retour sur une nouvelle journée de braise.

Convergence des colères

Initialement, les direction syndicales avaient prévu d’enterrer la mobilisation en appelant à un simple rassemblement sur l’île de Nantes, à l’écart du centre-ville. Un second appel, à se retrouver plus tôt sur la Place du Bouffay pour éviter de s’enfermer sur l’autre rive de la Loire, au risque d’y rester bloquer, avait circulé sur les réseaux sociaux. Ces deux appels simultanés et la volonté affichée par de nombreux travailleurs de manifester dans le centre ont manifestement fait reculer les volontés préfectorales de bloquer le défilé aux portes de l’hyper-centre.

À 13h, au premier point de rendez-vous, malgré les craintes d’une nasse policière, des centaines de jeunes se retrouvent puis s’élancent pour rejoindre l’île de Nantes, derrière une banderole proclamant «Le soulèvement, c’est maintenant». Arrivé sur le pont Anne de Bretagne, le cortège s’est largement étoffé et compte plus de 1000 personnes. Sous les bourrasques et la pluie, la jonction des deux manifestations s’opère sous les nefs de l’île de Nantes où plusieurs milliers de personnes sont réunies.

Le cortège s’étire sur le pont, mené par les plus jeunes et les plus déterminé-es. Malgré les vacances, il y a toujours énormément de monde dans les rues. Plus de 10.000 personnes. Premier point de tension à Feydeau où des rangées de policiers tirent quelques grenades, ce qui n’effraie plus les manifestant-es qui s’engouffrent tranquillement dans la rue de Strasbourg. La tête de cortège est largement devancée par des centaines de jeunes venus des différents quartiers de Nantes, qui ouvrent le bal. Au niveau de la mairie, dont les vitres viennent d’être changées, une souricière policière est prête à prendre en tenaille la tête de cortège. Moment de flottement. Une ligne de gendarmes est repeinte. Gaz. Le cortège bifurque finalement rue de l’Hôtel de ville pour rejoindre le Cours des 50 otages où se trouve le gros du dispositif policier. À chaque croisement se trouvent des lignes de boucliers et des canons à eau. La police ne tarde pas à inonder l’avenue de gaz. Une foule hétéroclite riposte et un canon à eau subit un départ de feu. Contrairement aux manifestations précédentes, il y aura très peu de dégradations sur le parcours, la colère commune se concentrant sur les forces de l’ordre.

L’image forte de cette journée restera celle d’une foule de syndicalistes qui traverse, avec un camion de la CGT, un épais nuage de lacrymogènes en criant à plein poumon «tous ensemble, tout ensemble !» pour marquer leur solidarité et leur refus de se dissocier, et pour rejoindre le cortège des jeunes. Par la suite, de nombreux syndiqués tiendront bon pendant des heures face aux charges policières.

Au fil des manifestations qui ont jalonné le mois de mars, le nombre de personnes prêtes à résister dans la rue n’a jamais cessé d’augmenter. Le 9 avril, ce sont des centaines personnes qui tenaient la police en respect, et plusieurs milliers qui continuaient à occuper la rue malgré les charges et les gaz. Il ne s’agit plus, comme aiment le répéter les médias, de «débordements en marge de la manifestation», mais de manifestations en marge des débordements. Un refus d’obtempérer général et partagé.

Jusqu’à 18h, des escarmouches opposeront un dispositif policier massif et différents groupes répartis autour d’Hôtel Dieu et du Château. Aux abords du miroir d’eau, une passante soixantenaire fait un malaise, incommodée par les gaz. Des manifestants se portent à son secours et hurlent à la police d’arrêter de tirer, ce qui a pour unique effet de provoquer un nouvel envoi de lacrymogène. Plus loin, face à une ligne de canons à eau, des dizaines de pacifistes avancent en bêlant «la police avec nous». Sans sommation, ils sont immédiatement arrosés et massivement gazés. Rue de Strasbourg, certains téméraires tentent d’aller déloger la BAC qui riposte par de nombreux tirs de balle en caoutchouc et des grenades à effet de souffle. La répétition de manifestations offensives à Nantes soulève des questions stratégiques, notamment concernant les façons de résister ensemble, unis dans notre diversité, et les capacités collectives à continuer à occuper la rue.

Le Parti de l’Ordre : les fachos main dans la main avec la police

En fin de manifestation, un bruit court : une bande de militants d’extrême droite patrouille près du Château, puis autour de la Place du Bouffay. En effet pas moins d’une trentaine de fachos du fantomatique groupuscule «Défend Naoned», composé de pétainistes, de royalistes et de nazis, s’attaque à des manifestantes isolées ou à des gamins de cité. Cette milice d’extrême-droite caillasse même à plusieurs reprises les groupes de manifestant-es en faisant des saluts nazis, avant d’aller se réfugier derrière les lignes de policiers. Aussi infâme que pitoyable. Ces attaques interviennent alors même que la BAC tire des grenades sur la manifestation et que le dispositif policier avance en saturant l’air de gaz lacrymogène. Comme toujours, la démonstration est éloquente : l’extrême-droite travaille main dans la main avec la police, au service du pouvoir.

Assez rapidement, une riposte s’improvise. Une cinquantaine de jeunes en survet’ lance une charge fougueuse contre les fachos qui doivent fuir en courant à toute vitesse dans les ruelles de Bouffay. Plusieurs racistes sont bolossés et subissent la raclée de leur vie à base de balayettes laser, de patates de forain et de solides coups de chaises. L’un des fachos ne doit son salut qu’à une commerçante qui sortira de sa crêperie, gazeuse en main, pour l’exfiltrer. D’autres, terrifiés, terrés dans un bar, sont sauvés par une charge de gendarmes qui leur évitent une légitime punition. Un crane rasé se réfugie même dans les galeries Lafayette les larmes aux yeux, en répétant qu’il n’est pas d’extrême-droite. Pendant une demie heure, le petit groupe de chasseurs de skins, toujours aussi survolté, fera le tour du quartier au pas de course en criant «on nique les fachos», et ne se dispersera qu’après des charges de la BAC. Gageons que cette correction mémorable éloignera pour de bon l’extrême droite de nos manifestations.

Les Nuits Debout nantaises de plus en plus suivies

Malgré ce nouveau pic de tension provoqué par les attaques de l’extrême-droite, la situation s’apaise progressivement en fin d’après-midi. L’odeur des lacrymogènes imprègne encore le centre ville quand des centaines de personnes convergent sur la Place du Bouffay pour échanger dans le cadre de la Nuit Debout. 600 personnes viennent débattre et construire la suite du mouvement sur la Place, dans le cadre de commissions. En milieu de soirée, une buvette, un repas chaud et du son installent une ambiance festive pour clôturer ce samedi mouvementé. Tout le monde regrette néanmoins le report du carnaval de nuit, grande fête nantaise populaire qui aurait pu couronner une journée de lutte tout aussi populaire.

Le mouvement ne retombe pas, ni à Nantes, ni ailleurs. Le 9 avril, c’est un ensemble toujours plus large qui s’est retrouvé dans des gestes collectifs forts, qu’il s’agisse de défiler et de tenir bon ensemble dans les rues, d’occuper une place, de refaire le monde ou d’affronter la police. On pouvait retrouver ensemble des lascars, des enragés, des syndicalistes et des lycéens au détour des rues. Valls espérait que les vacances allaient endormir la contestation, mais le mouvement est parti pour durer, et il va bien au-delà de la stricte «loi travail».

Quelques chose est en train de s’enraciner à Nantes comme partout. Et même si la suite des événements est imprévisible, les conditions d’un soulèvement sont réunies. Ensemble, nous sommes invincibles !

Pour un printemps de lutte !

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