Le nom et le visage du chef de la première puissance mondiale s’affichent en boucle sur les écrans planétaires : «Donald Trump est en passe d’obtenir tous les pouvoirs. Il aura le Congrès avec lui.» Coup de tonnerre politique.
Donald Trump. Milliardaire raciste, sexiste, vulgaire, violent, inculte. Un apologue du viol et des agressions sexuelles triomphe dans une Amérique puritaine. Face à lui, Hillary Clinton. La candidate de Wall Street, des ventes d’armes, de l’approfondissement du néolibéralisme. L’incarnation d’une classe politique qui règne depuis 20 ans et porte la guerre autour du globe. Ce sont les deux têtes d’affiches cauchemardesques qui ont été proposées au peuple américain.
D’emblée, la question n’était pas de savoir lequel des deux candidats allait recueillir le plus de soutien, mais lequel des deux serait le moins détesté. C’est désormais la caractéristique des démocraties contemporaines, il faut mettre au pouvoir « le moins pire ». Quelques réflexions.
- Nous vivons une période renversante. En Grèce, c’est la « gauche radicale » de Tsipras, élue pour mettre fin à l’austérité, qui a fait passer les plans utra-libéraux que ni la droite, ni les socialistes n’avaient osé imposer à leur peuple. En France, un président socialiste désignant la finance comme son ennemie a installé, en 4 ans, un État policier et lancé une salve de saccages sociaux inédits, bien plus agressifs que sous tous les gouvernements précédents. Aux USA, les deux mandats d’un président noir n’ont pas empêché l’explosion des crimes racistes et l’accentuation des inégalités sociales. Orwellien. Pour cimenter ces régimes, les démocraties occidentales choisissent la voie autoritaire : État d’urgence en France, l’armée contre les émeutiers outre-Atlantique, antiterrorisme partout. Le mensonge et la tromperie sont désormais des outils politiques assumés. Nous ne sommes plus seulement arrivés à l’ère de la « post-vérité ». Voici venue la post-démocratie, où tout est désormais possible. Même Trump.
- Les USA, première puissance mondiale. Le pays le plus riche mais aussi le plus inégalitaire au monde. L’incarnation du désastre capitaliste. Il s’agit de la seule partie du monde occidental où l’espérance de vie diminue, malgré une production de richesses exponentielle. Ironie, c’est aussi un pays ou les deux prétendants au trône sont de richissimes vieillards : Clinton, 69 ans. Trump 70 ans. Quand gérontocratie et ploutocratie se conjuguent. La situation américaine illustre le brouillage généralisé de l’échiquier politique. La candidate « de gauche » fait partie de la génération des « nouveaux démocrates », ceux qui ont considérablement droitisé leur camp, depuis les années 1990, et créé les traités de libre-échange, transformé les USA en société carcérale et construit des prisons, dérégulé la finance et baissé les salaires. A l’inverse, le candidat « de droite », en dehors de ses éructations racistes et misogynes, a fait campagne sur les thèmes du protectionnisme, du retour à l’emploi, de la fin du libre échange. Il promet une politique de grands travaux, d’investissements, de frein à la mondialisation. Donald Trump déclarait en campagne : « Nos politiciens ont promu avec vigueur une politique de mondialisation. Elle a enrichi l’élite financière qui contribue à leurs campagnes. Mais des millions de travailleurs américains n’en ont retiré que misère et mal au cœur» alors que son adversaire faisait des selfies avec des stars millionnaires.
- La guerre civile qui vient. Le pays des armes à feu et des tueries de masse est aussi celui de la ségrégation, du racisme institutionnel, celui d’une police qui abat impunément des centaines de citoyens noirs. Pendant sa campagne, Trump était officiellement soutenu par le Klux Klux Klan et l’extrême droite suprématiste alors que Clinton se voulait la « candidate des minorités ». Trump a déverrouillé la parole raciste des petits blancs déclassés. Les anciens États esclavagistes et ségrégationnistes ont massivement voté pour le candidat Républicain. Le différend racial qui se superpose au désarroi social et à l’armement généralisé ne peut que provoquer des explosions de violence de plus en plus rapprochées à court terme, aux USA.
- L’époque est à l’obscénité. Clinton, c’est la Silicon Valley, Wall Street et les stars hollywoodiennes. Trump, c’est le rustre roux, raciste et arrogant qui parle aux rednecks. Un personnage carnavalesque, burlesque, obscène. Face à une telle caricature, Clinton était certaine de l’emporter. Certaine que le chantage au « vote utile » – caractéristique commune aux démocraties occidentales – lui offrirait le pouvoir tranquillement, sans effort. C’est pourtant précisément l’inverse qui s’est produit. Trump a consacré un nouveau style politique, à mi-chemin entre la téléréalité, le combat de catch et la série B. Plus il était abject, plus les médias et la classe politique étaient outrés, plus il engrangeait de voix. Les éditorialistes avaient beau répéter qu’il avait « perdu » tous ses débats face à son adversaire, rien n’y faisait. Le vote n’est pas un choix rationnel. A la fin, c’est la colère sourde, nihiliste, sans débouché qui l’emporte.
- Trump incarne une nouvelle génération de dirigeants sur fond de reconfiguration politique. Aux Philippines, le président Rodrigo Duterte, récemment élu après une campagne contre le trafic de drogue, a transformé l’État en mafia. Des milliers de Philippins sont exécutés dans les rues depuis son arrivée au pouvoir, présumé vendeurs ou consommateurs de stupéfiants. Ce président revendique lui même des meurtres et assure l’impunité aux assassins, et adresse régulièrement des insultes et des menaces télévisées à l’ONU, aux présidents étrangers, à ses adversaires. En Russie, Poutine veut aller « buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes » alors qu’un président français souhaitait pendre un rival « à un croc de boucher ». Plus les pauvres sont réprimés, plus les chefs d’État se plaisent à ressembler à des chefs de gang. Mais la figure de Trump, entrepreneur milliardaire, rappelle également celle de Berlusconi, patron de presse obscène et chef d’État Italien jusqu’en 2011, lui aussi englué dans d’innombrables scandales. La Société du Spectacle consacre des Tony Montana de pacotille au sommet du pouvoir.
Si ces élections pathétiques doivent nous faire réfléchir, c’est parce que la France s’aligne tranquillement, depuis plusieurs décennies, sur le modèle américain. Ses policiers qui se confondent avec des forces armées, ses crimes racistes, sa violence sociale de plus en plus étouffante, ses rues transformées en galeries marchandes, son obsession pour les guerres aux quatre coins du monde, ses ventes d’armes, et même ses primaires pour asseoir le pouvoir de deux partis unanimement détestés.
Mais la France n’est pas l’Amérique. Ici, on oscille depuis deux cent ans entre Robespierre et Pétain, les Enragés et Vichy, la Commune et Adolphe Thiers. Entre les débordements les plus indisciplinés et les retours à l’ordre les plus brutaux. Et aujourd’hui, le fond de l’air est au pétainisme.