Le 14 février 1968, des centaines d’étudiants mobilisés à la fac de Nantes envahissaient et dévastaient le rectorat, et recevaient en retour quelques charges policières. Ces événements marquaient les prémisses du Mai 68 étudiant. À l’époque, tout ce que Nantes comptait de syndicats, de partis et d’associations de gauche s’indignaient contre la répression. C’est peu dire que les temps ont changé…
Cinquante ans plus tard, 14 février 2018. Troisième journée d’action contre la sélection à l’université. Il fait nuit, froid et humide quand une centaine d’étudiants bloque minutieusement l’université. En réconfort, la Cagette des Terres, qui approvisionne les luttes en fournitures depuis l’automne dernier, vient offrir un petit-déjeuner aux bloqueurs.
Dans les lycées, déjà, une répression conjointe de la police et du personnel des établissements est chargée de faire régner l’ordre. A Livet et Clemenceau, les tentatives de blocage avortent. Plus tard, un groupe part de la fac pour aider le lycée Monge à rejoindre la lutte. Après quelques minutes de tractage seulement, plusieurs fourgons de CRS déboulent. Les manifestants doivent fuir. L’un d’eux raconte :
«Après avoir fait plusieurs centaines de mètres boulevard Schumann, la rue est bloquée. Des camions de flics devant, et derrière, peut-être 15 en tout. C’est à se demander combien sont mobilisés au même moment dans le reste de la ville, où plusieurs autres cortèges étudiants et lycéens débrayent aussi des lycées. Moment de panique. Notre seule issue est une rue perpendiculaire au boulevard, sur la gauche. Pas le temps pour hésiter, on s’y engouffre. 30 secondes plus tard, c’est non pas des fourgons mais deux motos et une voiture de police qui s’arrêtent à notre hauteur, et sortent les gazeuses. Ils veulent nous faire peur. Après avoir enjambé deux murets, nous nous retrouvons sur l’autre rue. Nous sommes traqués. Deux camarades se fouleront la cheville dans la panique et resterons sur place. Après avoir bien couru et senti l’adrénaline monter, nous sommes rassurés : on les a semé.» Les mêmes scènes se reproduisent ailleurs, au même moment.
À 11h, sous la pluie, des centaines de jeunes se retrouvent malgré tout Place du Bouffay. Le dispositif policier est colossal. Après quelques dizaines de mètres de parcours seulement, à la croisée des trams, les CRS tentent déjà de nasser l’avant du cortège, en gazant et en distribuant des coups de matraque sur les banderoles. Les journalistes eux-mêmes paraissent choqués, mais ne relateront probablement pas ce qu’ils ont vu.
La manifestation se heurte sans cesse à des murs de policiers, et doit sans cesse ruser pour pouvoir continuer à avancer de quelques mètres, cernée de toutes parts par les forces de l’ordre. Voir 700 personnes dans la rue dans de telles conditions tient du miracle. Rue Joffre, l’avant de la manif est braqué par les armes de policiers pendant que l’arrière est coincé par les CRS. Seule porte de sortie : une ruelle qui mène au lycée Clemenceau. L’énorme dispositif répressif est pris de vitesse. Des manifestants s’engouffrent dans l’établissement en scandant : «lycéens, avec nous !» Mais le rassemblement se fige dans la rue quand la police arrive. Première charge : sans raison, une pluie de coups de matraque s’abat sur la tête des lycéens et des étudiants, sans distinction. Les banderoles sont volées. Une jeune femme est au sol, la tempe ensanglantée. Immédiatement, les policiers envoient une salve de grenades lacrymogènes sur l’arrière du défilé. Nouvelles charges ponctuées d’insultes et de menaces. Une personne qui pensait que s’allonger par terre allait dissuader les policiers d’attaquer est piétinée. Ceux qui soignent les blessés sont à leur tour agressés par la police.
Toute la scène se déroule à l’heure où les lycéens sortent pour leur pause de midi. L’infâme direction du lycée enverra un mail à toutes les familles des lycéens, dans les heures qui suivent, en osant parler «d’affrontements», de gens «extérieurs venus en découdre», et conseillant aux lycéens «de se tenir éloignés des manifestations». Minable.
Contre toute attente, le cortège repart vers l’hyper-centre d’un pas rapide. Prenant à nouveau de court les CRS qui tentent de courir à leur poursuite, les manifestants atteignent la Place Royale, endroit stratégique, et strictement impossible à rejoindre depuis le printemps 2016, dans la guerre de territoire organisée par la préfecture. Cela peut paraître anodin, mais la Place est symbolique : elle avait été occupée en Mai 1968 et rebaptisée Place du Peuple par une foule d’étudiants, d’ouvriers et de paysans. Une photo célèbre de ce moment avait été prise, avec les manifestants juchés sur la fontaine, avec des drapeaux rouges et noirs. Finalement, pour fêter cette petite victoire, certains n’hésitent pas à grimper dans la fontaine, les pieds dans l’eau glacée, pour réitérer cette image, à 50 ans d’écart.
Après ce moment joyeux, fatigués, les manifestants tentent de se disperser, mais ils sont encore une fois empêchés de rentrer sur la fac par une armada policière. Le canon à eau est déployé sur le Cours des 50 Otages ! Finalement, une Assemblée Générale se tiendra dans l’après-midi en fac de Droit. Deux amphithéâtres sont occupés à partir de ce soir, pour amplifier le mouvement : les amphis A et B du Tertre.
Demain jeudi, nouvelle journée d’actions. Suivez la page Université de Nantes en lutte pour plus d’informations.
Nous invitons nos voisins des autres villes à se joindre au mouvement, et à tout mettre en œuvre pour nous aider à désengorger Nantes du trop plein policier qu’elle subit depuis trop longtemps.