Zadibao : nouvelle revue locale en ligne


Alors que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes a subi deux assaut successifs de milliers de militaires pour détruire de nombreux lieux de vie, que les colères ont crépité tout le printemps sans parvenir à s’embraser, et que les quartiers de Nantes se sont enflammés ces derniers jours, des habitants et habitantes de la ZAD sortent une nouvelle revue en ligne : ZADIBAO. Brèves, analyses, récits, cette revue est à retrouver chaque semaine à cette adresse : https://zadibao.net/


Voici l’édito du premier numéro :

“On est encore là

ÉDITO n°1 – 6 juillet 2018

Édouard Philippe est inquiet, très inquiet, on peut même dire qu’il est touché au cœur par ce constat terrible, qu’il a tweeté hier : « le nombre d’oiseaux a chuté d’un tiers en quinze ans ». Pourtant, le Premier ministre ne baisse pas les bras, il a un plan : « Préserver les prairies, planter des haies, restaurer les mares… » Est-ce pour gratifier de ces petites phrases celles et ceux qui se sont battus pour le bocage de Notre-Dame-des-Landes qu’il est venu à Nantes ce jeudi ? Certes pas. Il est venu pour conclure un deal avec Mr Grosvalet, président du Conseil Départemental, grand pourfendeur de zadistes et pro-aéroport déçu. Peut-être afin de compenser cette frustration, l’État va revendre au département les 895 ha de zad que celui-ci lui avait cédés en 2012. La Loire-Atlantique en sera officiellement propriétaire début 2019. Concrètement, cela induit que ce ne sera plus à terme avec la Préfecture, qui a signé les COP aux habitants ce printemps, que se décidera l’avenir d’une grande partie des terres, mais avec le Conseil Général, sauf à propos du demi-millier d’hectares restant, qui demeure propriété de l’État. Mais il est probable que les signatures éventuelles de baux seront réglées avant l’acquisition, encore avec l’État, donc. Autant dire que tout reste ouvert en ce qui concerne la possibilité pour les habitants de stabiliser et d’entériner leur présence sur le site. À n’en point douter, les batailles vont reprendre avec plus d’intensité dès l’automne, période pendant laquelle l’avenir foncier va être rediscuté, notamment lors du prochain comité de pilotage en octobre. Nous reviendrons lors du prochain zadibao sur ces enjeux, ainsi que sur les manifestations prévues pour la rentrée.

S’il se préoccupe de la baisse du nombre des passereaux, le Premier ministre ne semble en revanche guère enclin à la compassion envers les jeunes abattus par la police. C’est en effet après deux nuits d’émeutes consécutives à l’assassinat mardi dernier d’Aboubacar Fofana par un CRS lors d’un contrôle routier, que l’édile visite la cité des Ducs. Il dit les mêmes mots insanes que ses prédécesseurs ont déjà bien trop souvent employés, comme si un pense-bête ignoble était glissé dans la poche des ministres frais émoulus, au cas où. Il affiche son soutien aux forces de l’ordre, il promet que toute la lumière sera faite sur cette affaire, il espère un retour au calme, etc. Dans ce cas, la vérité de l’émotion sort des gestes de ceux qui ne sont pas restés chez eux les nuits dernières alors qu’un ami, un voisin, ou tout simplement un jeune homme, était mort. Et ces nuits-là ont vu se nouer dans la colère des liens et des solidarités particuliers à la région nantaise. C’est en effet au cri de « avec nous les zadistes » que les jeunes du Breil et des Dervallières accueillirent les soutiens étrangers au quartier venus affronter avec eux les charges de gendarmes mobiles.

Hier, au troisième soir d’émeutes et alors que la maire de Nantes inspectait les carcasses d’automobiles fumantes au milieu du quadrillage militaire des quartiers révoltés, c’était son véhicule personnel qui, à quelques mètres de son domicile, partait lui aussi en fumée.

Nous vous écrivons alors que sur la zad une trêve s’est enfin ouverte, dont la durée nous est inconnue, mais dont on peut supposer qu’elle nous laissera reprendre un peu de souffle durant l’été. Elle vient clore une séquence d’expulsions et de destructions partielles qui, pour être éprouvante, n’a pas vraiment eu raison de la zad. Grâce à un mélange de résistance sur le terrain et d’un rapport de force soutenu dans les négociations, nous avons évité le pire : un saccage total du territoire et de ses habitats, et l’extinction de cette flamme qui nous anime si singulièrement ici. Nous avons perdu des cabanes, des illusions, nous avons perdu aussi le statut de zone sans police acquis depuis cinq ans. Des personnes ont été blessées parfois grièvement, d’autres arrêtées, d’autres encore incarcérées. Quand les grenades tirées depuis le char propulsaient des mottes de terre vers le ciel, nous avons senti à quel point le maintien de l’ordre et sa « politique de la testostérone » peuvent parfois flirter avec la guerre, et c’est bien cette vision qui nous a amenés à estimer que le choix qui s’ouvrait à nous était finalement simple : soit accepter – en tentant de les subvertir – certaines des conditions de la Préfecture, soit nous engager dans une voie où nous allions probablement tout perdre : les terres, les lieux de vie, mais aussi le soutien des autres composantes et nos attachements à ce territoire.

Dans ce contexte tendu où du côté du gouvernement comme du nôtre, chacun pesait les risques de poursuivre une guerre frontale, la plupart des lieux épargnés par les premiers jours d’expulsion ont finalement souhaité tenter le pari des négociations, bien que les termes de ce pari fussent difficiles à accepter, tant la pression de l’occupation militaire était forte, et l’idée de se plier à certains cadres administratifs peu engageante. Mais si nous avons donc rempli collectivement les fameuses « fiches », l’État, de son côté, a été contraint d’accepter le scandale que représente le maintien d’un grand nombre de lieux et de projets existants sur les terres que le mouvement avait réussi à occuper pendant la lutte. Ceci y compris des activités non-agricoles ou des habitats auto-construits qui étaient exclus du récit initial formulé par Édouard Philippe quant à ce qui pouvait subsister de la zad. Pour redonner un peu de chair à son storytelling du retour à l’ordre, il lui a donc fallu organiser une seconde phase d’expulsion. Bien que le périmètre de celle-ci ait été fortement réduit par le nombre important de fiches remplies, elle n’en fut pas moins destructrice, physiquement et moralement, pour le mouvement.

Début juin, finalement, quinze Conventions d’Occupation Précaires d’une durée de six mois ont été signées, reliées aux différents lieux de vie. En revanche, pour cinq autres projets, la Préfecture n’a pris qu’un engagement politique sur une possible régularisation ultérieure, sans accepter de leur octroyer d’emblée de COP. Soit parce que ces projets portaient sur des activités qui n’étaient pas encore mises en œuvre, comme c’était le cas par exemple d’un élevage d’escargots à côté de la ferme de la Grée, qui a depuis bénéficié d’un chantier collectif pour accélérer son installation. Soit parce qu’ils se situaient sur des terres dites « conflictuelles », c’est-à-dire occupées par le mouvement mais sujettes à des conventions déjà signées par des agriculteurs qui avaient accepté de laisser leurs terres pour le projet d’aéroport et de toucher des indemnisations et des compensations.

Si l’on se projette sur une installation durable, ces conventions n’offrent pour l’instant que peu de sécurité juridique, mais elles représentent la reconnaissance d’un statu quo politique et nous offrent déjà un temps précieux pour, dans cette nouvelle situation, nous remobiliser et consolider tout ce qui s’est construit à la zad.”

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