Le 5 juin 2013, Clément Méric, jeune antifasciste de 18 ans tombe sous les coups de brutes d’extrême droite à Paris. Aujourd’hui, plus de 5 ans après les faits, les néo-nazis responsables de la mort de Clément passent en procès. C’est l’occasion de faire un retour sur le traitement médiatique des événements.
Dans les jours qui suivent le drame, c’est la stupéfaction. D’abord, une vague d’émotion médiatique et politicienne, de très courte durée. Puis très vite, un incroyable retournement de situation. Dans les médias, on présente déjà la mort de Clément comme le résultat d’une bagarre «entre bandes», entre «extrémistes». En résumé, les nostalgiques d’Hitler et celles et ceux qui luttent pour l’égalité sont mis sur le même plan. Des skinheads néo-nazis et des antifascistes sont renvoyés dos à dos. L’événement est dépolitisé. La parole des proches de Clément Méric est occultée.
C’est alors que la chaîne de télévision publique France 2 diffuse dans son JT un montage ahurissant en images de synthèse. Une pseudo «reconstitution» des faits en images numériques, qui représente le défunt comme s’il avait «attaqué de dos» le néo-nazi, Esteban Morillo, dessiné isolé, et serein. En bref, «Clément l’aurait bien cherché». Un choix éditorial extrêmement lourd de sens. À l’époque, la chaîne prétend s’appuyer sur «une vidéo déterminante».
5 ans après les faits, cette fameuse vidéo est écrite à l’audience. Elle ne révèle que très peu d’éléments et montre en réalité l’exact inverse de ce qui avait été présenté par France 2 : on voit Clément reculer face à l’avancée de l’agresseur néo-nazi. Mais cette révélation judiciaire ne réparera pas le mensonge diffusé à chaud, juste après le drame, et vu par des millions de personnes. D’ailleurs, une avocate explique lors du procès que l’auteur du coup mortel n’a commencé à évoquer cette «agression par derrière» lors de ses auditions seulement «à partir du moment où un montage vidéo présentant cette hypothèse avait été diffusé». France 2 n’a pas seulement sali la mémoire de Clément, la chaîne a fourni une ligne de défense aux néo-nazis.
Dans les jours qui suivent le décès de Clément en 2013, des chaînes de télévision font le choix d’inviter le chef de la bande de néo-nazis, Serge Ayoub, à venir s’expliquer tranquillement sur les plateaux télé. Celui-ci, déjà impliqué dans d’innombrables faits de violences et de crimes, a donc obtenu une tribune pour défendre ses camarades. De la même manière que pour Benalla, les crapules ont toujours le droit à des tribunes médiatiques après avoir commis leurs méfaits. Alors que les opprimés et celles et ceux qui luttent, sont toujours invisibilisés.
La logique de confusion, et de dépolitisation de la mort de Clément se retrouve aujourd’hui dans l’enceinte du tribunal. L’avocat d’un des nazis dédouane son client en ces termes : «quand on est jeune on se radicalise, soit on a des dreads, on devient rasta, ou alors on devient facho». Comme si une mode vestimentaire alternative était comparable à un activisme raciste et violent. Cette petite musique qui met sur le même plan l’antifascisme et le fascisme s’est peu à peu imposée jusqu’au sommet de l’État, lorsque Valls ou Collomb désignent des manifestants opposés aux réformes néolibérales comme des terroristes, mais laissent les mains libres aux groupuscules racistes tels que Génération Identitaire.
Logiquement, l’extrême droite s’empare de cette stratégie de confusion, la pousse à son paroxysme. Hier, Serge Ayoub, convoqué au procès, a osé se comparer à «Zola qui défend Dreyfus». Il décrivait même son mouvement d’extrême droite comme «héritier du Conseil National de la Résistance». À la barre d’un tribunal, des skinheads néo-nazis ont pu être comparés à un juif victime de persécutions antisémites. Un mouvement nostalgique du Reich et de Pétain a pu se réclamer de la résistance.
Ces médias ont une responsabilité déterminante dans la montée de l’extrême droite en France ces dernières années. France 2 a propulsé le chroniqueur réactionnaire Eric Zemmour sur le devant de la scène de façon hebdomadaire. À présent, la plupart des chaînes de télé ou de radio embauchent des chroniqueurs d’extrême droite et surmédiatisent les politiciens les plus racistes. Sans parler des reportages de plus en plus anxiogènes diffusés quotidiennement dans tous les grands médias.
Ces pratiques médiatiques ne reflètent pas seulement une quête d’audimat. Elles ont des conséquences concrètes et réelles. La mort de Clément Méric, ou l’explosion des agressions racistes en font partie.