Amiens – Bruxelles : récit croisé d’un week-end jaune


Le reportage exclusif de notre envoyé spécial dans la ville natale de Macron et dans la capitale européenne


Acte 1 – Amiens : la détermination du Nord face à la répression

Samedi 26 mai, les gilets jaunes ont lancé un appel pour aller chercher le président, mais cette fois dans sa ville natale, à Amiens. Un bassin ouvrier et fier, base du fameux député Ruffin, bref aux antipodes du petit roi qui s’en prétend aujourd’hui le représentant.

La journée est organisée autour de plusieurs temps : un premier de rencontre et de discussion le matin, puis un départ en manifestation l’après-midi, pour terminer par un concert dans la soirée. Beaucoup de participants pensent venir en paix pour pouvoir participer aux discussions qui se déroulent dans un parc à l’extérieur de la ville. Mais c’était sans compter la présence des forces de l’ordre et de la terreur que le pouvoir compte faire régner.

Postées à toutes les entrées du parc, les forces de l’ordre fouillent systématiquement les arrivants et leur véhicule. 24 personnes seront ainsi interpellées, ayant généralement sur eux des protections en vue de la manifestation. Elles sont immédiatement conduites au commissariat. Ces arrestations donneront lieu à des convocations ultérieures pour d’éventuels procès qui suivront. Ambiance «mauvaises heures de l’histoire»…

Malgré ces agressions qui entachent la matinée, provoquant la colère et l’indignation de nombreux gilets jaunes sur place, les discussions se tiennent. C’est au milieu du parc et parmi une foule toujours aussi bigarrée, typique de ces rassemblements jaunes, qu’on discutera des liens entre urgence climatique et urgence sociale, ou encore de la souffrance au travail. C’est tout un bassin industriel, marqué de tant et tant de luttes sociales, qui se mobilise. Chacun et chacune y vient avec son histoire personnelle, ses victoires, ses échecs. La lutte continue et elle va durer : «Colère noire, espoir jaune» pouvait-on lire dans les cortèges.

À 14h, plusieurs milliers de manifestants s’élancent dans les rues de la ville. Encore une fois le centre-ville est interdit d’accès, stratégie appliquée dans de nombreuses villes en France. Amiens est habituée aux défilés jaunes tranquilles et familiaux, mais cette stratégie débouche inévitablement sur des tensions avec les manifestants qui réclament leur droit de manifester librement : et la rue elle est à qui ?!

La police occupe aussi le ciel : pas moins d’un hélicoptère et 3 drones pourchassent et obsèdent les manifestants. Dans cette ambiance de fin de Régime Vichyste, la manifestation est d’emblée assez électrique. Rapidement le blocage du cortège par les forces de l’ordre provoque des tensions, l’air est saturé de gaz lacrymogène. Des familles, passant juste par là ou participant à la manifestation, se retrouvent au milieu des gaz. Les enfants pleurent, les parents sont apeurés.

Sur le parcours banques et agences immobilières subissent le sort réservé aux piliers du système. Le cortège ne parvient pas à rompre l’interdiction de pénétrer le centre-ville, mais fait preuve d’une belle détermination, se scindant pour disperser les forces de l’ordre en de nombreux groupes au gré des carrefours. Les courses poursuites avec les forces de l’ordre se poursuivent à travers le dédale des rues des quartiers périphériques d’Amiens, au milieu des cités résidentielles et de leurs fameuses briques rouges.

Des manifestantes n’hésitent pas à mettre leur corps en jeu pour ralentir l’avancée des fourgons à plusieurs reprises. Des handicapés en fauteuil sillonnent les rangs de la police au milieu des gaz. Des mères de familles qui viennent cracher leur haine des forces de l’ordre sous leur propre nez.

Une belle énergie est déployée ce 25 mai à Amiens. L’énergie de ceux et celles qui n’ont plus, ou si peu, à perdre. En témoigne le nombre impressionnant d’interpellations : en plus des 24 personnes convoquées ultérieurement, 98 personnes écopent d’une amende, 15 personnes seront placées en garde à vue, dont certaines ne seront relâchées que le lundi suivant.

La répression policière, judiciaire, les violences de l’État auront-elles raison de la détermination populaire ? Pendant un temps peut-être, mais l’histoire reste à écrire, et tant que cette colère brûlera dans les poitrines, l’espoir sera intacte. En tout cas, samedi 25 mai à Amiens : «On était là».

Acte 2 – Bruxelles, capitale européenne de la répression

Dimanche 26 mai, l’Europe jaune devait se retrouver à Bruxelles… Rendez-vous manqué, puisque ce ne seront que quelques centaines de manifestants, 400 environ, qui se retrouvent à 13h à la gare du Nord.

Le rendez-vous était initié par les gilets jaunes belges, puis porté par l’Assemblée des assemblées. C’est donc la capacité de celle-ci à mettre en musique ses propres décisions qui se pose, comme elle se pose pour d’autres initiatives – la «semaine jaune» par exemple. C’est aussi la capacité des réseaux militants à s’approprier, à s’inscrire et à développer une initiative qui n’est pas issue de leur propre rang qui est posée de manière assez nette.

Si l’événement mérite récit, c’est pour le dispositif de sécurité incroyable déployé et pour les méthodes de la police belge. Pour de nombreux manifestants arrivés à l’heure, c’est une prison à ciel ouvert qui les attend. Une rumeur court : «le rassemblement est autorisé, le défilé non». Aucune preuve n’existe à ce jour et la suite semble fortement prouver le contraire…

Plusieurs centaines de policiers sont présents. La police fouille dès la sortie du train. Équipés de chiens sans muselière, de chevaux que les cavaliers conduisent littéralement sur les manifestants – le slogan «Libérez les chevaux» aura un franc succès –, d’un hélicoptère, de plusieurs canons à eau… le dispositif policier laisse incrédule tant par son caractère disproportionné que par son attitude agressive.

De 13h à 18h, pendant de plus de 5 heures et parfois plus, la police nasse des centaines de manifestants. Aucune possibilité bien sûr pour les femmes ou les hommes de faire leurs besoins. Les tentatives d’ouverture de brèche sont violemment réprimées. Les chants permettent de garder le courage nécessaire. Et il en faudra pour faire face aux arrestations qui suivront…

Car dès 14h les cars de police arrivent pour embarquer… la totalité des manifestants ! On dénombre pas moins de 350 personnes arrêtés administrativement. Le nombre de gardés à vue était si élevé que la police belge doit les entasser sur quatre sites différents, fait rare.

Les témoignages qui circulent quant aux conditions de détention ne sont pas meilleurs : parqués à 30 dans des cellules pour 15 ou 20 personnes, les poignets lacérés par les serflex. Les arrêtés sont marqués par des numéros sur l’avant bras ! Des personnes qui n’en peuvent plus et urinent au sol dans la cellule. Des femmes enceintes qu’on empêche de boire et des femmes obligées de confier leur soutien gorge aux forces de l’ordre le temps de la garde à vue. Ou encore des personnes, fouillées à nue et accroupies. Les droits et la dignité humaine ont été largement bafoués à plusieurs reprises ! La police belge n’en est pas à son premier essai puisque le même sort avait été réservé il y a quelques années aux militants «No Borders»…

Vers 14h, une centaine de manifestants restés hors de la nasse sont éloignés sous la pression des policiers… Un cortège se forme et prend à marche rapide la direction de l’hyper-centre touristique ! Les voitures légères de police leur embrayent immédiatement le pas et tentent de pénétrer le cortège, manquant d’écraser des manifestants à plusieurs reprises.

5 à 10 fourgons prennent alors en chasse les manifestants. C’est une véritable course-poursuite qui s’engage avec les détachements de policiers qui chargent dans les ruelles du centre de Bruxelles. La police ira jusqu’à engager ses détachements à cheval dans des rues piétonnes pleines de touristes pour y interpeller les manifestants !

Le siège du PS local sera pris à partie. Peu après15h, le cortège arrive sur la Grand-Place, noire de touristes, pour une scène assez ubuesque. De nombreux touristes voyant arriver des manifestants en courant, suivis de près par des cordons de policiers au pas de charge, cagoulés et armés, sont pris de panique. Des touristes plongent alors dans les boutiques pour s’y réfugier, empoignent femmes et enfants et partent à toute volée, renversant les tables des terrasses et leur contenu pour échapper à ce qui leur semble être une menace pour leur vie !

Maigre revanche mais revanche tout de même, l’attitude extrêmement agressive de la police aboutira à une situation qui échappe à son contrôle et à cette scène de zbeul dans le quartier le plus touristique de la ville. Des actions isolées auront lieu après la dispersion du cortège avec des feux d’artifices tirés près de la Bourse. La police procédera dans les ruelles à plusieurs interpellations très musclées.

Au soir les manifestants sont relâchés au compte-gouttes. Les derniers arrêtés étaient encore en cellule lundi matin. Pour tous les étrangers, dont une majorité de français, c’est une amende de 500€ qui est demandée !

Malgré cette dure journée, de nombreux contacts transfrontaliers auront pu être pris au gré des heures de détention. Une démarche juridique collective se discute. Mais il faudra être bien plus nombreux et mieux organisés la prochaine fois pour espérer faire trembler l’impérialisme européen.

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