«Aujourd’hui, c’est le grand jour car je vais me brûler à Pôle Emploi»


Avant le drame survenu à Lyon vendredi dernier, un jeune étudiant qui s’est immolé en pleine rue, un homme s’était immolé à Nantes, en 2013, alors qu’il était en extrême détresse économique à cause de Pôle Emploi. Le système en place tue. La précarité tue.
Un article de l’époque, paru sur Bastamag :


« Les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient. » Telle a été la réponse du ministre du Travail Michel Sapin après l’immolation de Djamal Chaar, mi-février, devant une agence Pôle emploi de Nantes. Les régulières tentatives de suicides devant un Pôle emploi ou une Caisse d’allocations familiales sont encore considérées comme « un drame personnel » par les institutions. Ce que contestent les collectifs de chômeurs et précaires.


« Aujourd’hui, c’est le grand jour pour moi car je vais me brûler à Pôle emploi. » Djamal Chaar, Nantes, février 2013.


Djamal Chaar est mort. Il s’est immolé par le feu mercredi 13 février 2013 face à un Pôle Emploi, à Nantes. Deux jours après, un autre chômeur tentait de se donner publiquement la mort à Saint-Ouen (93), et un autre encore quelques jours plus tard dans un Pôle emploi de Bois-Colombes. Déjà, l’été précédent, un homme était mort après s’être immolé à la CAF (Caisse d’allocations familiales) de Mantes-la-Jolie. À l’époque, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, avait « fait part de sa profonde émotion face à cet acte désespéré d’une personne que les difficultés de la vie ont manifestement conduit à un geste tragique ». La ministre déléguée chargée de la lutte contre l’exclusion avait ajouté qu’« en première ligne face à ces difficultés sociales, le personnel de la CAF a rempli sa mission avec sérieux et compétence ».

Au lendemain de la mort de Djamal Chaar, le président de la République évoquera avant tout le caractère « exemplaire » du « service public de l’emploi ». Les réactions publiques, comme à chaque fois, qualifient le geste de « drame personnel », on exprime à peu de frais son émotion tout en cherchant à déresponsabiliser l’institution. Une cellule psychologique est créée pour les agents, le sale boulot de gestion de la précarité peut reprendre. Et si quelques voix s’élèvent pour faire du mort une victime, ces discours participent d’un consensus qui recouvre la dimension politique de ce qui a eu lieu.

« Avec l’humanité qui convient »

La veille de son immolation, Djamal Chaar écrit : « J’ai travaillé 720h et la loi, c’est 610h. Et Pôle emploi a refusé mon dossier ». Le ministre du Travail et du Dialogue social répondra : « Les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient, avec les explications nécessaires, mais il y a parfois des moments où on est dans une telle situation, qu’on ne comprend plus les explications. »

L’humanité qui convient. Quiconque a affaire à Pôle emploi ou à la CAF sait ce dont il s’agit. C’est l’État qui remet à un agent le soin de décider des moyens de subsistance d’un autre humain. Ce sont des calculs comptables qui font oublier les vies derrière les chiffres. Ce sont des règles d’indemnisation opaques, arbitraires, rarement explicitées et qui excluent plus de la moitié des chômeurs de l’allocation. C’est le mépris et le soupçon avec lesquels on traite quiconque dépend d’une institution pour ses revenus. C’est transformer les droits sociaux en dettes individuelles et réduire par-là tout horizon, toute capacité à se projeter.

La contrainte ou la culpabilité

L’humanité qui convient, c’est nous culpabiliser de n’avoir pas d’emploi dans cette société-là et nous forcer à jouer le jeu. C’est une logique qui transpire partout. Elle s’impose aussi à nous dans l’entreprise où chacun est contraint à grand coups de management de s’impliquer personnellement, de se réaliser en tant que capital humain, de faire corps avec son travail aussi indésirable soit-il.

Djamal Chaar a décidé de ne pas faire le grand saut dans le noir en silence. Nous ne pouvons accepter comme un « accident de parcours » l’acte d’un homme qui a décidé de mourir en accusant. S’obliger à parler. Dire que l’institution tue. Dire qu’il ne s’agit pas de « drames personnels ».

Et si son geste nous renvoie à nous-mêmes, à nos solitudes et nos découragements, il nous renvoie aussi à la nécessité de s’attaquer à cette violence qui nous est faite. Dans l’entraide et la solidarité, que nous éprouvons par bribes au présent et que nous essayons de construire jour après jour, nous voyons un des moyens pour reprendre, ensemble, prise sur nos vies.

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