Le point de bascule ?


«Point de bascule : lorsque le trop plein est atteint. Lorsque le ras le bol explose. Ce moment où un petit changement supplémentaire finit par générer un bouleversement massif. La goutte de colère qui fait déborder la rage.»


Chaque semaine dans ce pays apporte son lot de scandales. Assaut continus contre les droits des plus précaires. Propos racistes quotidiens sur les écrans. Cynisme et mépris omniprésents. Riches et élus qui affichent leurs fortunes décadentes. Injures présidentielles. Exactions policières. Et pourtant, il ne se passe rien, ou presque.

Il y a eu cette grand-mère tuée à Marseille en décembre dernier. Zineb, une octogénaire, paisiblement chez elle, à sa fenêtre. Elle reçoit deux tirs policiers. Visage fracturé, impact sur la poitrine. Gravement blessée, évacuée, elle meurt le lendemain. Les policiers s’empressent d’aller ramasser les munitions dans l’appartement de la vieille dame à l’agonie, pour dissimuler le forfait. Un scandale indescriptible, gravissime, au delà des mots. Que c’est il passé ? Rien, ou si peu.

Il y a eu des mains arrachées. Soufflées par l’explosion d’armes de guerre. Par des grenades explosives, mortelles, tirées par centaines sur des foules de manifestants qui n’avaient pour armes que leur courage et leur colère. Il y a eu des visages déchirés, ces yeux arrachés, ces mâchoires fracturées. Des dizaines de «gueules cassées» dans la France de 2019. De quoi déclencher une insurrection légitime. Que s’est-il passé ? Rien, ou si peu.

Il y a eu ce jeune, Steve, sorti faire la fête par un beau soir du mois de juin à Nantes. Parti danser au bord de la Loire, fêter la musique. Pris dans des charges d’une violence inouïe, sous les grenades lacrymogènes, les balles en caoutchouc et les explosions, il était tombé dans la Loire. Sa famille ne le reverra jamais. Il est mort noyé dans l’eau noire du fleuve, à cause de la police. Nous aurions du être des millions dans les rues à demander des comptes. Que s’est-il passé ? Rien, ou si peu.

Il y a eu ces pompiers qui manifestaient à Paris pour réclamer de meilleures conditions de travail. La profession la plus populaire qui défile dans la rue. Ils sont immédiatement tabassés, gazés, arrêtés, dans une cohue sauvage des forces de l’ordre. Un pompier sera même éborgné par un tir policier. Un autre sera mis à pied : sa direction, plutôt que d’être solidaire, le santonnera. Tout est scandaleux, indéfendable. On a vu des grèves générales et des ministres démissionner pour bien moins que cela. Mais que c’est-il passé ? Rien, ou presque.

Il y a eu, au début de l’automne, ces deux femmes en grande précarité qui survivaient dans un immeuble de Nîmes. Une mère et sa fille. La dernière fois que les voisins les ont vues vivantes, c’était pour réclamer des pâtes sur le palier. Elles seront retrouvées mortes, oubliées de tous, dans la solitude la plus totale. Que s’est-il passé ? Rien, ou presque.

Il y a eu ce jeune étudiant, désespéré, en détresse sociale. Ce jeune homme de 22 ans, qui n’arrivait plus à survivre dans ce monde, et qui a décidé de commettre l’irréparable pour faire passer un message : «continuez à lutter», «j’accuse Macron, Hollande Sarkozy et l’UE de m’avoir tué». Son corps s’enflammera devant l’administration universitaire. Il est encore entre la vie et la mort, terriblement et irrémédiablement brûlé. En Tunisie, un acte identique avait provoqué des Révolutions dans tout le monde arabe en 2011. Et en France, que s’est-il passé ? Il est trop tôt pour le dire.

La jauge est pleine. Semaine après semaine, la souffrance est plus forte, le désespoir plus noir, l’arrogance du pouvoir plus écœurante. Et pourtant l’ordre règne. À chaque fois, on imagine que le point de bascule est atteint. Et puis non. Un scandale en recouvre un autre dans le tourbillon de l’information et les mensonges du pouvoir.

À présent, le point de bascule est-il atteint ? Allons nous enfin relever la tête ? Continuerons nous indéfiniment à franchir des paliers d’ignominies sans réagir ? Sommes nous encore vivants ? Réponse dans les jours qui viennent, vendredi, samedi, le 5 décembre, et après !

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