Lecture : «La joie militante»


Une lecture qui arrive au bon moment dans ce climat si propice à la morosité et à l’inaction


Ce livre n’est pas un roman feel good ni un texte de développement personnel et pourtant il vous fera du bien. C’est plutôt, à la fois un essai philosophique et un guide du militantisme aujourd’hui. Car militer peut être aussi synonyme d’angoisse, d’une crainte d’être jugé.e, d’une peur d’être exclu.e, et entraîner une perte d’envie. À contre-courant de la tendance au «radicalisme rigide» – et à toutes les injonctions qui en découlent – Joie militante appelle à se défaire d’une pensée binaire et des comportements qui «paralysent» les luttes.

Les auteur.e.s nous encouragent plutôt à repenser le collectif, les affinités que nous pouvons créer et surtout explorer les possibilités de nous transformer. L’être humain n’est pas figé, et comme le disait Malcom X : «Ne soit pas si pressé.e à condamner une personne parce qu’elle ne fait pas comme toi, ne pense pas comme toi, ni aussi vite. Il fut une époque où tu ne savais pas ce que tu sais aujourd’hui».

Ce livre repose sur le concept de joie chez Spinoza – c’est-à-dire notre capacité à être affecté.e et à affecter – et le propose comme une voie possible pour combattre les oppressions. Faire place à la joie c’est donc privilégier la diversité, l’imagination et l’expérimentation. Il n’existe pas une façon de faire. Grâce à toutes les expériences que nous traversons nous pouvons développer des espaces de résistances et des possibilités révolutionnaires.

Ce livre fourmille de références et témoignages enrichissants, et nous incite à repenser nos façons de vivre ensemble. Avec en prime une formidable préface de Juliette Rousseau.


Extraits : «Il me semblait que la plupart du temps, notre difficulté à agir sur les oppressions nous amenait à rejeter à priori toute forme de puissance politique, collective et individuelle, pour préférer l’assimiler à la domination. Cela pouvait aussi facilement nous mener vers une sorte de micropolitique des interactions personnelles, aux réflexes de comptable, une traque infinie des comportements dominants – reposant sur l’illusion qu’un milieu safe est possible – et la mobilisation du discours anti-oppressif à des fins de contrôle. Par réaction au reste du milieu militant et des organisations politiques, qui continuent de protéger voire de légitimer les aggresseur.euses, une justice de milieu punitive et aux logiques individualisantes pouvait aussi se mettre en place» (Juliette Rousseau)

«(…) la joie n’arrive pas lorsque l’on évite la douleur, mais en luttant dans et à travers elle. Faire de l’espace aux sentiments collectifs de rage, de deuil, ou de solitude peut être profondément transformateur. L’Empire, au contraire, travaille à maintenir ses sujet.te.s coincé.e.s dans une tristesse individualisante : bloqués des habitudes et des relations appauvrissantes, toxiques et privatisées. Cette stagnation peut être entretenue par la recherche du bonheur et la tentative de neutraliser ou d’éviter la douleur. Etre plus entièrement présent.e, au contraire, veut dire s’ouvrir à ce qui nous affecte et participer activement aux forces qui nous façonnent».

«Alors que la moralité pose et répond à la question suivante : « qu’est ce que l’individu doit faire? », l’éthique spinoziste demande : « qu’est ce que l’individu est capable de faire? ». Contrairement à l’abstraction froide de la moralité, les capacités d’un corps ne peuvent être découvertes que par l’adaptation et l’expérimentation, partant de là où vous vous trouvez. Vous ne pourrez pas savoir tant que vous n’avez pas essayé. En essayant, que vous « réussissiez » ou « échouiez », vous apprendrez et vous changerez, et la situation changera également, même très légèrement. (…). Cela renvoie aux façons par lesquelles nombre d’entre nous essayons déjà de nous orienter dans nos vies quotidiennes : non pas en adhérant à des commandements prédéterminés, mais en apprenant à habiter nos propres situations de façon à nous rendre plus capables et plus vivant.e.s ensemble».

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