Plusieurs milliers de personnes en Free Party au cœur de Nantes.
La ville noyée dans les gaz deux ans après la mort de Steve.
La scène, saisissante, résume l’absurdité de cette époque. La ville de Nantes est quadrillée d’hommes en armes, il y a un canon à eau et un hélicoptère, et au milieu de ce dispositif terrifiant, plusieurs milliers de personnes marchent, calmement, souvent vêtues de blanc, pour rendre hommage à Steve tué deux ans plus tôt. Arrivé sur l’île de Nantes, le cortège est bloqué par des gendarmes qui ricanent : la manifestation ne pourra pas aller sur le quai où a eu lieu la charge mortelle deux ans plus tôt pour déposer des fleurs. Finalement, une poignée de membres de la famille du défunt auront « l’autorisation » d’aller se recueillir, une fois le cortège dispersé. Voilà où nous en sommes dans la France de 2021. Une « marche blanche » parfaitement pacifique est bloquée par les forces qui ont causé la mort d’un jeune le soir d’une fête de la musique. Provocation fasciste.
Les autorités ont mis des moyens considérables pour tuer la fête cette année encore. Comme si, depuis la mort de Steve, la ville de Nantes était condamnée à être privée de musique le 21 juin. Comme si la jeunesse devait payer, chaque année, le crime commis par l’État. Rituel macabre. Après l’hommage empêché de la fin d’après-midi, des centaines, puis des milliers de personnes convergent vers la Place du Bouffay. Les forces de l’ordre sont partout, présentes pour faire peur. Un groupe qui porte des T-Shirts blancs « justice pour Steve » est arrêtée et longuement contrôlée face à un mur. Un homme qui amène un tambourin est interpellé. Miraculeusement, peu avant 21H, un étendard apparaît : « la fête est finie », avec la trace d’une main en sang. Référence à la Free Party de Redon. Puis une sono roulante parvient à diffuser de la musique au milieu de cette toile d’araignée répressive. Premier moment de liesse. Fumigènes, sourires, danse. Un petit cortège part vers Hotel Dieu, où une ligne de gendarme tente piteusement de bloquer la foule, avant de partir en courant.
Pendant ce temps, un camion sono a réussi à se frayer un chemin jusqu’à la Place du Bouffay ! Coup de maître. Il y a désormais une foule compacte sur la place, malgré la fermeture anticipée des bars et la terreur d’État. Le camion sono fait plusieurs tours en diffusant à plein tubes de la techno pendant que l’enceinte mobile crache des classiques de rap. Un groupe d’exilés joue des percussions. Bonne ambiance, interrompue par des salves de lacrymogènes. Les silhouettes noires de la BAC se montrent. Grenades contre feux d’artifice. Le son continue, l’appel de la fête est plus fort. C’est une véritable Free Party qui a lieu au cœur de la métropole !
Nouvelle attaque policière à Bouffay. Nouveaux échanges de projectiles. Énormes détonations : les gendarmes tirent des grenades explosives GM2L dans la foule. Ces armes mortelles qui ont arraché une main, deux jours plus tôt à Redon. Enragés par l’audace de la foule, les gendarmes finissent par tirer des dizaines de lacrymogènes pour arrêter le chauffeur du camion sono. Embraqué pour n’avoir rien fait d’autre que passer de la musique le soir d’une fête de la musique.
Pendant un moment d’accalmie, tout le monde se retrouve pour danser autour d’une sono près des pelouses de Feydeau. Pour la police, cela justifie l’envoi d’une énième salve de grenades. C’est la cacophonie. Il y a des groupes qui dansent, d’autres qui résistent à la police, des feux d’artifice vers les boucliers, quelques flammes. La nuit tombe et un cortège festif part en direction du sud, en montant des barricades. Charge devant le CHU, gaz en bord de Loire, encore. Dispersion du cortège, puis recomposition. Nouvelle charge et canon à eau à Gloriette. Entre-temps, un groupe de teufeurs venus de Redon, qui tenait simplement des banderoles à la croisée des trams, a été sévèrement brutalisé et gazé. Des centaines de munitions ont été tirées, le sol est jonché de cartouches. 11 personnes ont été arrêtées.
Vers minuit, le ballet des gyrophares continue, la sono sauvage ne résonne plus. Mais la fête n’est pas finie. Les terrasses sont bondées. Ironie, un important regroupement de jeunes s’enjaille juste en face de la Préfecture. La police n’interviendra pas. Des groupes de fêtards tiendront la rue jusque tard dans la nuit. Rien n’arrête un peuple qui danse.
Images : NR, Charles Baudry, Jah, Estelle Ruiz, Thomas Streetphoto, Oli Mouazan, presse