Du 24 au 28 août, une «Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités» a lieu à Nantes : un rendez-vous manqué ?
Soyons clairs : l’idée d’une «Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités», dans un contexte de montée de l’autoritarisme et des attaques de toutes sortes est une bonne idée. C’est un événement qui pourrait permettre de tisser des liens, consolider les mobilisations existantes, en construire de nouvelles. Mais une telle initiative, organisée par la gauche associative peut-elle avoir lieu sous une forme institutionnelle, payante, et sous contrôle numérique ?
ENTRÉES PAYANTES
Le site de l’événement annonce un tarif à 40€, auquel on peut ajouter un «coup de pouce» à 75€, et le «tarif réduit» à 15€. Certes, il s’agit d’un événement qui nécessite une certaine logistique, mais instaurer une entrée payante sur inscription pour parler d’anticapitalisme semble, pour les plus précaires, une barrière difficile à franchir.
PASS SANITAIRE OBLIGATOIRE
L’organisation de l’UEMS impose un contrôle du Pass Sanitaire et le port d’un bracelet coloré qui distinguera les personnes vaccinées de celles testées négatives. De toute évidence il a été difficile pour les organisations de dire non à la main qui les nourrit, mais qu’est-ce que ça aurait coûté de désobéir ? Le risque semblait pourtant faible : de l’avis même du Conseil Constitutionnel, le Pass Sanitaire n’est pas obligatoire pour les événement «politiques et syndicaux». Du reste, il était tout à fait envisageable de délocaliser les débats dans des parcs, jardins ou rues de la ville.
Dans tous les cas les gestes barrières seront mis en place, les salles seront aérées et désinfectées plus efficacement que dans l’Éducation Nationale, et une majorité de personnes seront sans nul doute vaccinées, la gauche anticapitaliste étant plus portée vers la science que vers l’obscurantisme. Alors quoi ? Quel besoin de respecter cette obligation inique qui n’a d’autre but que de punir la population (et en particulier ses couches populaires, rurales et immigrées, les moins vaccinées) ?
Un tel choix, alors que l’opposition au Pass réunit des centaines de milliers de personnes chaque samedi dans la rue, résonne comme une démission lourde de sens. Et quid des personnes invitées à intervenir, qui n’auront pas de Pass Sanitaire ? Pourront-elles animer leurs propres ateliers ?
TECHNOPOLICE ?
Le vendredi, un atelier est intitulé «Lutter contre la technopolice, lutter contre les technopolices» et se fixe pour objectif de «résister à la surveillance totale de nos villes et de nos vies». Un débat crucial, à fortiori dans une ville bardée de caméras de surveillances, et dont les élus rêvent de «ville intelligente». Mais comment peut-on traiter d’un tel sujet en imposant un contrôle numérique des participant-es ? Plusieurs autres ateliers concernent la surveillance, dont une bonne partie animés (entre autres) par des membres de La Quadrature du Net et des collectifs anti-répression. On se demande bien ce que ses membres pensent de cette organisation après avoir écrit un article édifiant contre le pass sanitaire il y a quelques jours.
AU CŒUR DU “QUARTIER DE LA CRÉATION”
Les espaces ont un sens politique. L’UEMS est organisée sur l’île de Nantes, une ancienne friche industrielle réaménagée, devenue symbole de l’urbanisme de la Métropole : un ancien espace ouvrier transformé en grand parc d’attraction touristique et «culturel». La plupart des débats ont d’ailleurs lieu à l’École d’architecture, près de l’École de design et des «incubateurs de Start-Up». Le reste aura lieu dans la Maison des Syndicats, qui appartient à la mairie, et dont les entrées, verrouillées, s’ouvrent avec des cartes digitales municipales. Dommage de ne pas pouvoir discuter dans des lieux ouverts, des espaces de lutte occupés, ou dans une vraie Bourse du Travail : celle qui existait à Nantes, où résonnaient les discours de l’anarcho-syndicaliste Fernand Pelloutier, est aujourd’hui démolie. La Maison du Peuple, elle, a été récemment expulsée.
MÉDIAS
Un atelier s’intitule «Réseaux sociaux, censure, audience : quels enjeux et alternatives pour la presse indépendante?». La présentation de cet atelier mentionne la censure de pages Facebook et de médias indépendants. Il est dommage que les organisateur-ices aient oublié, dans leur présentation, un média local lu par des centaines de milliers de personnes chaque semaine, régulièrement menacé par la préfecture et les syndicats de police, et censuré par les plateformes. De même pour «l’espace Médias et librairie», où sont annoncés des «médias indépendants».
NANTES, VILLE DU DOUBLE DISCOURS
Il y a quelques années, la mairie de Nantes et diverses associations subventionnées organisaient un «forum des droits de l’Homme» à la Cité des Congrès, alors que la municipalité venait d’expulser, juste à côté, un lieu occupé par des exilés. En 2014, un «squat» artistique, la «Villa Ocupada», était ouvert par la mairie juste après la répression sanglante de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. De même, des festivals culturels sur «l’art urbain» sont organisés alors que la ville mène une guerre acharnée au tag et à l’art de rue. Si les intentions de «l’université des mouvements sociaux» sont justes, l’événement peut néanmoins servir, encore une fois, de caution à une ville PS qui mène une politique de droite.
Lecteurs et lectrices qui venez participer à cette «Université» et découvrir Nantes, parfois pour la première fois : soyez les bienvenus. Souhaitons que votre séjour sera riche de rencontres et qu’en émergeront les bribes d’un monde nouveau. Nous tenons simplement à vous prévenir de l’hypocrisie qui peut régner dans notre ville qui sait, parfois, se montrer si remuante.
Samedi 28, dernier jour de cet événement, une grande manifestation aura lieu contre le Pass Sanitaire, pour les libertés et contre l’extrême droite. L’occasion de joindre les actes à la parole, sans l’accord des institutions.
MàJ : La Quadrature du Net aurait annulé sa venue la semaine dernière suite à l’utilisation du Pass Sanitaire.