Ukraine : un festival de cinéma russe annulé à Nantes


Cancel culture du «camp du bien»


Façade du cinéma "Le Katorza", où devait se tenir le festival de cinéma russe.

Un «Festival du cinéma russe» devait avoir lieu à Nantes, du 31 mars au 2 avril, au cinéma Le Katorza. Alors qu’il était programmé de longue date, les organisateurs et organisatrices disent avoir été saisis par «l’effroi» en février 2022 «quand les premières bombes russes se sont abattues sur l’Ukraine». Le festival a donc immédiatement affiché le slogan «Non à la guerre» sur son visuel, phrase traduite en russe et en ukrainien. L’organisation a aussi supprimé les moments festifs, et rebaptisé de festival «entre Lviv et l’Oural» : le nom d’une ville de l’ouest de l’Ukraine et une chaîne de montagnes russe.

Une dénonciation de la guerre, une démonstration d’amitié entre les peuples, sans aucune ambiguïté. Mais cela ne suffisait pas.

Dimanche 27 mars, une «Marche pour l’Ukraine» était organisée par une association baptisée «Tryzub». Le «tryzub» est le trident. C’est à la fois le blason de l’Ukraine mais c’est aussi le nom d’une structure paramilitaire ukrainienne d’extrême droite fondée en 1993, dédiée au collaborateur nazi Stepan Bandera. Structure dont est issu le groupe «Secteur droit», néo-nazi, crée en 2013. L’association nantaise «Tryzub» donc, est allé manifester devant le cinéma Katorza pour faire annuler le festival. Le maire de Lviv avait lui aussi appelé à son annulation. Et ils ont obtenu gain de cause. L’événement est «reporté à une date ultérieure, non connue à ce jour».

Dans un communiqué, l’association se désole «que la création cinématographique ambitieuse et engagée, qui avait été sélectionnée, reste inaccessible au moment même où elle aurait pu contribuer à une appréhension intellectuellement fine et aiguisée de l’époque douloureuse que nous traversons.» Tout cela pose question. Sommes-nous en guerre contre le peuple russe ? La culture et les créations russes doivent-elles être interdites, au nom de la propagande de guerre ? Les artistes russes, qui subissent déjà la répression de Poutine, doivent-ils aussi subir l’interdiction dans nos pays ?

Cette annulation s’inscrit dans un contexte délirant : le pianiste russe Alexander Malofeev est devenu indésirable pour l’Orchestre symphonique de Montréal, qui a jugé «inapproprié» de l’accueillir, alors même qu’il a exprimé publiquement son opposition à la guerre. Sanctionné parce que russe.D’autres virtuose de la musique ont été annulés dans plusieurs pays occidentaux. Ici même, on voit des appels à débaptiser un collège Soljenitsyne, ou à boycotter des auteurs classiques russes, Tolstoï, Dostoïevski, Pouchkine… Plus globalement, poser la moindre nuance sur le conflit en cours suffit pour être qualifié de «traître» voire de «soutien à Poutine».

Plus stupide encore, des français ont menacé des restaurants de Poutine, une spécialité québécoise à base de frites. D’autres établissements, notamment des restaurants russes, ont aussi reçu des intimidations et des insultes. Le camp du bien et des gentils, en pleine escalade militariste, utilise des méthodes d’extrême droite. Et encore une fois, les russes subissent la double peine : un régime autoritaire chez eux, des pressions ici.

Dans le même temps, la campagne qui appelle au BDS – boycott, désinvestissement, sanction – contre l’État colonial d’Israel est interdite et qualifié «d’antisémite» et de «haineuse» par les autorités française. BDS n’appelle pourtant pas à boycotter la culture, seulement les produits industriels en provenance de territoires colonisés ! Où mène cette logique ? Il aurait fallu boycotter tous les artistes espagnols durant la dictature franquiste, qui a duré jusqu’en 1975 ? Ou des auteurs allemands comme Walter Benjamin ou Stefan Zweig lors qu’Hitler s’est imposé au pouvoir ? Et aujourd’hui, faut-il interdire les artistes brésiliens parce que le président du Brésil est un militaire d’extrême droite écocidaire, ou les penseurs turcs parce qu’Erdogan est un tyran ?

Ces réponses sont absurdes, manichéennes, cocardières. A Nantes, une «fête des langues» réunissant les langues parlées dans notre ville a lieu chaque début d’été, et les locuteurs et locutrices russes et ukrainiennes y seront bienvenues. La seule réponse aux guerres impérialistes est de faire vivre l’amitié entre les peuples, la création et la culture. Pas l’inverse.


Le communiqué d’annulation du festival

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