Une violence industrielle pour maintenir l’Ordre
C’est un rapport précis, rédigé par «l’Observatoire national des street-medics et secouristes volontaires» qui paraît à quelques jours des élections. Il révèle l’ampleur des violences policières commises contre les Gilets Jaunes à partir de 2018, puis contre la mobilisation pour défendre les retraites en 2019.
Ce rapport se base sur les prises en charges non officielles, durant les manifestations, par les équipes de «Street-médics», ces bénévoles du soin qui apportent les premiers secours dans les cortèges. Il est le résultat des recensements réalisés par 87 groupes de street-medics partout en France. Rien qu’entre fin 2018 et début 2020, «le nombre estimé de personnes blessées est près de dix fois plus élevé que le chiffrage officiel avec 25.700 (±3200) victimes estimées du 17 novembre 2018 au 14 octobre 2019.» C’est le bilan d’une guerre sociale. Il faut dire que, sur la même période, la police française a tiré des dizaines de milliers de balles en caoutchouc et de munitions explosives, et probablement plusieurs centaines de milliers de grenades lacrymogènes. Rien que le 1er décembre 2018 à Paris, la police tirait en quelques heures plus de 10.000 grenades.
Pour cette estimation d’environ 30.000 personnes blessées par le maintien de l’ordre, le rapport développe longuement la méthodologie et la base scientifique de l’enquête. Pour rappel, le chiffre officiel du ministère de l’Intérieur à propos des Gilets Jaunes était de 2495 victimes. Ce chiffre ne s’appuie que sur les personnes ayant été secourues par les sapeurs pompiers sur les lieux des manifestations. Dans les mobilisations, pour l’immense majorité des cas, les blessés ne sont pas directement pris en charge : lorsqu’ils ont un hématome, une plaie, des vertiges suite à une explosion ou des atteintes nécessitant des points de suture, la plupart sont soignés sommairement dans la rue et ne consultent un médecin que plus tard. Et bien souvent, ne font jamais constater leur blessure. Du reste de très nombreux témoins rapportent que les forces de l’ordre empêchent l’accès au secours des blessés en manifestation. On peut donc estimer que le bilan «officiel» ne compte qu’une petite minorité des cas les plus graves.
Selon le rapport «deux tiers des atteintes (66,7%) sont des blessures traumatiques, principalement aux membres et à la tête, provoqués par des frappes de tonfa et de matraque, des lanceurs (LBD et flashball) et grenades cinétiques» et ajoute : «il est relevé par ailleurs, alors que la frappe de la tête est normalement proscrite, un nombre élevé de blessures traumatiques à la tête, plus d’une blessure sur six (18,1%).» Pour l’Observatoire, «il s’agit d’un taux particulièrement inquiétant au vu des risques pour la santé et la sévérité des blessures associées à cette zone.»
Des centaines de milliers de personnes ont également été exposées au gaz lacrymogènes, utilisés massivement. Ces gaz chimiques, qui irritent fortement les poumons, les yeux et la peau, sont dangereux pour la santé. Mais les autorités maintiennent une opacité totale sur les conséquences à long et moyen terme de ces produits. Plusieurs femmes ont témoigné de troubles dans leurs menstruations, voire de fausses couches suite à une exposition au gaz. Les cas de suffocations, de malaises, de peau ou yeux abîmés ne se comptent plus. À l’étranger, les gaz lacrymogènes utilisés en grande quantité ont déjà provoqué la mort.
En ce qui concerne les mutilations, au moins 30 personnes recensées ont été éborgnées lors du soulèvement des Gilets Jaunes, 5 personnes ont eu la main arrachée et une personne, Zineb Redouane, est morte après avoir reçu une grenade dans la tête à Marseille. Cela en quelques semaines seulement, le bilan sur la totalité du quinquennat est bien plus élevé.
La question de la répression aura été la grande oubliée de cette campagne présidentielle, alors qu’il s’agit d’un phénomène majeur de la gouvernance de ces dernières décennies et en particulier celle de Macron. Des dizaines de milliers de blessés dans une impunité quasiment totale. Des dizaines de vies brisées, de familles traumatisées. C’est une marque indélébile. Malgré cela, la plupart des candidats, dont le président sortant, veulent accroître encore l’armement et l’impunité des forces de l’ordre dans les années qui viennent. Les violences d’État sont une plaie béante. Après 5 ans de présidence, Macron a les mains pleines de sang.
Le site de l’Observatoire des Street Medics : https://obs-medics.org/
AJOUT : L’Observatoire des Street Médics nous rappelle que l’estimation de 27.800 victimes comprend l’ensemble des victimes, y compris sans rapport avec le maintien de l’ordre. Pour les victimes de la police on est plutôt sur 25.000, ce qui reste 25.000 de trop.