Nous sommes le 3 juillet 2018, à Nantes. Dans le quartier du Breil, au nord de la ville, l’après-midi est estivale. Mais des CRS qui patrouillent, sur demande de la mairie, mettent le quartier sous tension. Aboubacar, 22 ans, qui conduit son véhicule, subit un contrôle qui s’éternise. Alors qu’il est au volant, le jeune homme reçoit un tir dans le cou. Un tir à balle réelle : sorti du Sig Sauer d’un CRS. Il meurt sur le coup. Un témoin raconte : «Il était immobile, le policier lui a tiré dessus à bout portant».
Dans les heures qui suivent, la rage s’empare de tout le quartier. Barricades, incendies, affrontements. Des centaines de forces de l’ordre affluent sur Nantes pour étouffer l’incendie. Mais la colère est trop forte. Dans le quartier où vivait le défunt, la solidarité entre habitants est importante : les parents accueillent les plus jeunes qui fuient des charges. Les portes des halls restent ouvertes pour se réfugier. Après le quartier du Breil, c’est toute les cités de Nantes qui sont en flammes. Une mairie annexe brûle, ainsi que plusieurs bâtiments. La voiture de la maire de Nantes est incendiée le 5 juillet, comme une voiture de la BAC et des centaines d’autres. Un hélicoptère survole la ville toutes les nuits.
Pendant que la révolte gronde, le CRS ment pour se couvrir. La hiérarchie policière ment aussi. Le policier prétend avoir tiré «en légitime défense» et même «pour protéger des enfants» ! Mais deux jours plus tard, sa version est tellement invraisemblable qu’il avoue avoir menti. Il aurait tiré «par accident». Il n’avait donc aucune raison légitime de tirer. Aboubacar a été tué pour rien. Reste à savoir comment une arme à feu, dotée d’un cran de sûreté, et tenue par un professionnel, a pu «tirer par accident»…
Le 5 juillet 2018, une marche blanche organisée par la famille réunit des milliers de personnes dans le quartier, à l’endroit exact ou Aboubacar a perdu la vie. Un puissant moment de recueillement. Peu à peu, la colère s’apaise, mais Nantes vient de traverser l’un des plus importants soulèvements de son histoire. Des centaines de voitures et plusieurs bâtiments sont partis en fumée.
Le CRS tireur bénéficie d’une impunité organisée par l’État : il a pu reprendre le travail et n’a été «auditionné» que deux ans après les faits. Par contre, de nombreuses personnes suspectées d’avoir participé aux émeutes ont été arrêtées et condamnées. Depuis, la police a fait d’autres victimes à Nantes ou ailleurs, dans les manifestations et dans les quartiers. Et les tirs policiers explosent. Rien que ces derniers mois, des agents ont blessé ou tué plusieurs personnes par balles.