Chronique judiciaire nantaise : la police tire, la justice récompense


Depuis plusieurs mois, la dessinatrice nantaise Ana Pich emmène ses crayons et ses carnets au tribunal de Nantes, pour observer les procès en comparution immédiate. Elle raconte les jugements expéditifs et la justice de classe. Reportage dessiné.


Ce 29 août 2021, à 3h du matin, 24 coups de feu de la police nationale retentissent à Rezé devant un entrepôt de l’enseigne Kiloutou. Le motif ? Une tentative de vol.

Deux individus ont tenté de voler un karcher, celui-ci ne rentrant pas dans leur utilitaire, ils l’abandonnent et se dirigent, bredouilles, vers la sortie. Les voleurs se retrouvent nez à nez avec les flics. Pas le temps de passer la deuxième que les policiers font feu… à 24 reprises. Non pas dans les pneus, comme la logique l’entendrait mais bien dans le pare brise et le moteur. Ni coups de sommation, ni gyrophares. Les deux individus évitent de peu les balles mortelles en se cachant dans le véhicule, comme le raconte un des voleurs à la barre du tribunal «si je m’étais pas planqué, je serais plus là… Il y avait 4 balles sur le pare brise au niveau de ma tête ». Ils n’échappent pas à toutes les balles pour autant, et sont touchés au bassin, au tibia et au poignet. Mais dès le lendemain, c’est bien une enquête pour tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique qui est ouverte par le parquet de Nantes.

Nous voilà le 24 août 2022, soit un an de détention provisoire plus tard, en salle d’audience correctionnelle du tribunal de Nantes. Non pas pour juger les fous de la gâchette financés par le service public, mais bien les deux voleurs de Karcher.

On leur reproche des violences aggravées sur personnes dépositaires de l’autorité publique. En l’espèce, les policiers défendent que l’un deux, ayant sa jambe sortant de sa portière ouverte, aurait été coincé «en sandwich» entre les deux véhicules. Thèse contestée au vu des incohérences des récits et de l’ITT très faible qui ne correspondrait pas, selon les avocats de la défense, à la réalité des blessures si une telle scène avait eu lieu.

Une enquête de l’IGPN est ouverte. Sans surprise, l’usage des armes était «nécessaire et proportionné». À l’audience, le procureur affirme, comme pour s’en convaincre lui-même, que «l’IGPN fait vraiment son métier»… qui en aurait douté ?

L’avocate officielle de la police nantaise et grande spécialiste de la quête de dommages et intérêts, Maitre Hupé, s’indigne qu’on puisse mettre en cause ses protégés (et sa source de revenu principal) : «Faut pas croire que les policiers sont des cowboys !». Le proc en rajoute une couche sur les malheureux : «Ce sont de bons pères de famille… ils ne méritent pas ça !»… Comme argument juridique, on a entendu mieux !

L’avocate de la police défend le traumatisme psychologique des forces de l’ordre… d’avoir dû tirer ! D’autant plus pour l’un des policiers, toute jeune recrue, qui a vidé quasi entièrement son chargeur en l’espace de 6 secondes précisément (14 balles sur 15 !). On aurait presque versé une larme…

Le procureur demande 5 ans d’emprisonnement dont 1 an de sursis probatoire, avec maintien en détention. Dans un déni total, il affirme que «les policiers n’usent de leurs armes que dans des cas extrêmes ! Leur métier, c’est d’arrêter les délinquants et là ils ont fait leur métier»… Arrêter ou tuer, un synonyme selon le ministère public ?

Les juges se retirent pour délibérer. Le prévenu, entravé dans le box sécurisé sous escorte policière, profite de la suspension d’audience pour échanger avec sa famille présente dans la salle. Il s’exclame «Je te jure, si elle me met 4 ans, je lui dit (à la juge), c’est même pas ce que prend un violeur ! Nique la taule !».

Le tribunal reprend place et annonce solennellement la décision : 4 ans d’emprisonnement ferme, dont 18 mois de sursis probatoire, avec maintien en détention pour le conducteur, et 8 mois pour son co-prévenu. La somme de 4370 euros de dommages et intérêts est allouée aux forces de l’ordre au titre du préjudice psychologique…

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