Athéna : le film qui met en colère, mais pas pour les bonnes raisons


On a regardé pour vous le film «Athéna» et on vous raconte la fin parce que ça ne vaut vraiment pas la peine de souffrir à regarder ça


Première scène. Gros plan sur Abdel, militaire en uniforme, ému. On comprend que son frère vient de mourir sous les coups de la police. Lors d’une conférence de presse, il appelle au calme. Mais son discours est interrompu par un déferlement de violence. Une voiture bélier fonce dans un commissariat qui prend feu, des cocktails molotovs explosent, les policiers sont tabassés au sol. Les armes sont récupérées par une bande organisée et commandée par Karim, autre frère du défunt.

Deuxième scène : la bande de Karim joue avec un Flash-Ball récupéré dans le commissariat. Ils se tirent dessus, comme si c’était un jouet inoffensif. Ils portent le même survêtement, pour faire «comme à l’armée». Le chef de meute aboie ses ordres.

Troisième scène. Un CRS blond, joufflu, à la peau rose est dans le camion qui l’emmène vers la cité. Il chie dans son froc. Il dit qu’il a deux fillettes de quatre ans, qui lui ont mis de la couleur sur les mains. Un jeune père de famille blanc livré aux sauvages : il reçoit une pluie de projectiles dès qu’il sort du véhicule. Il n’y a eu quasiment aucun échange, essentiellement des grognements et des explosions.

Le film a commencé depuis 5 minutes, et on sent qu’on ne va pas passer un très bon moment. Ce sont pourtant les meilleurs passages de ce clip interminable : Athéna.

Athéna était la déesse de la guerre et de la sagesse, c’est aussi le nom d’un quartier imaginaire de banlieue parisienne, et pas une marque de slips. Le réalisateur du film est Romain Gavras, un «fils de» issu des beaux quartiers de Paris. Son travail est de réaliser des publicités pour Vuitton ou Dior entre deux films fantasmant la misère. Son esthétique : clair-obscur à la lueur des flammes, caméra au poing et plan-séquence. Coté technique, c’est réussi : on en prend plein la vue. Une overdose d’images travaillées et de l’adrénaline pour ne pas avoir le temps de réfléchir.

Scénario : quasiment absent. Un pur déluge de violence nihiliste à partir d’un «drame familial». Abdel le militaire est le gentil, le modéré, celui qui fait confiance à la justice. Karim est le jeune enragé, il a des choses à prouver et veut sa vengeance. Il veut tuer du flic. Quant à l’aîné, Mokhtar, c’est un dealer cocaïnomane ultra-violent qui travaille avec des policiers corrompus. Autour de ce trio charmant, les jeunes du quartiers communiquent essentiellement par hurlements monosyllabiques et coups de latte. Il n’y aura aucune profondeur des personnages, aucune figure d’identification. Le seul qui semble vaguement raisonnable et sympa est, paradoxalement, le chef des policiers : Mourad, un gradé noir qui tente de calmer le jeu et rendre justice.

Dans Athéna, les «jeunes de quartiers» lancent des parpaings et des explosifs sur des CRS débordés et terrorisés, qui subissent sans broncher et envoient de temps en temps un peu de gaz qui n’a aucun effet. Les forces de l’ordre, pourtant lourdement protégées, prennent feu, reculent, s’enfuient, face à des ados qui dansent en tirant des feu d’artifice. Lorsqu’ils chargent, les CRS font mouliner leurs matraques en l’air. Il n’y a pas de LBD alors que c’est cette arme ultra-précise qui permet à la police de mutiler des adolescents dans les quartiers à 40 mètres de distance. Précision technique : le réalisateur montre un modèle de «Flash-Ball compact» en plastique, qui n’est plus utilisé depuis les années 1990 et qui semble indolore. Les centaines de mutilés par des tirs de balles en caoutchouc et de grenades explosives apprécieront le réalisme de la répression.

Perché sur un toit, le leader de la révolte regarde la télé pour pouvoir produire de belles images. Il indique à ses camarades à quel moment lancer un frigo pour qu’il tombe en direct sur France 2. Finalement, toute cette mise en scène ne serait qu’un spectacle médiatique joué par des sauvageons histoire de faire le buzz. Guy Debord serait ravi.

Les chaînes d’info en continu répètent qu’il s’agit d’une émeute de sauvages dangereux et fanatisés par l’islam radical. Ça parle même d’un fiché S pour actes de barbarie en Syrie. On se dit que c’est une critique de l’intox des médias de type Cnews. Enfin un propos politique, bien vu ! Mais non : l’immersion au cœur de la cité nous montre que la réalité est encore plus anxiogène que ce que disent les chaînes d’info en continu.

Une révélation tombe : la mort du gamin qui a mis le feu aux poudres n’est pas la faute des policiers mais d’un «groupuscule d’extrême-droite» pour «amplifier les tensions». On comprend donc que les policiers qui se font défoncer sans réagir depuis une heure sont innocents ! D’ailleurs c’est bien connu, la police n’a jamais tué personne et les émeutes ne profitent qu’à l’extrême-droite.

Une série de séquences subtiles s’enchaînent : la prise en otage d’un CRS isolé, copieusement tabassé, histoire de faire pression sur les autorités. C’est Jérôme, le CRS joufflu et père de famille sympa qui prend cher : il se laisse capturer sans tirer, subit en silence, et s’excuse en pleurant. Des CRS sont regroupés façon armée romaine, en tortue, sous une carapace de boucliers, cernés de feux d’artifice, au milieu de rodéos à moto et d’habitants qui ricanent. Nous, on rit jaune. Puis Abdel, le gentil militaire tente de sauver le CRS en le faisant sortir de la cité. Pan ! Le premier coup de feu tiré par la police touche le flic, qui, justement, s’échappait avec Abdel. 10 secondes plus tard, les émeutiers foncent sur les lignes de CRS qui ne réagissent pas.

Abdel rejoint son frère dealer qui demande de l’aide à ses copains agents de la BAC. Mais l’opération échoue et Karim, le troisième frère, se fait tuer alors qu’il tente de brûler vif des policiers en civil. Qui tirent donc en légitime défense. Fou de rage, Abdel le gentil modéré devient méchant. Il tabasse à mort son frère dealer, et recrute Sébastien, djihadiste revenu de Syrie pour se procurer des armes et tuer un maximum de policiers. Jérôme, le CRS rose, se liquéfie face à l’arme braquée sur son front. Mais il n’est finalement pas exécuté. Quant à l’ancien de Daesh, qu’on croyait plutôt sympa lorsqu’il cultivait des fleurs, c’est en fait un fou dangereux. Il force le coffre fort du commissariat, et coup de bol : les flics avaient des Kalachnikovs ! Au milieu de tout ça, le chef de la police s’excuse pour l’arrestation d’une dizaine d’habitants qui tentaient de fuir, mais «on ne peut pas les relâcher sans qu’il y ait d’enquête».

Policiers démunis qui s’excusent, islamiste armé qui devient la pointe avancée de la révolte pour assassiner des CRS innocents. On vous avait prévenu, Cnews à côté c’est un épisode de Barbapapa.

Abdel revient à la raison. Il a expulsé sa sauvagerie et redevient un bon militaire français, il délivre le CRS et décide de se suicider en restant dans l’immeuble rempli de bombes artisanales posées par le djihadiste. Il regarde le JT de France 2 en attendant que tout explose. Un écran de télévision annonce : «guerre civile en France» et montre des blindés dans les rues.

Ouf, c’est enfin terminé ! Mais non, Romain Gavras nous achève juste avant le générique de fin : il dévoile la scène qui a tout déclenché. La vidéo du gamin laissé pour mort. On voit les policiers rentrer dans une camionnette et se changer. Oh ! Ils ne sont pas policiers ! Il s’agissait bien d’un groupuscule néo-nazi, croix celtique tatouée dans le cou. D’ailleurs ils brûlent les uniformes une fois leur forfait accompli, pour bien montrer que l’extrême droite, c’est très différent de la police républicaine. Bon sang de bonsoir, la version des flics était la bonne depuis le début ! Tout ce cirque aurait pu être évité en écoutant les autorités compétentes : la révolte était sans objet et nous, on éteint Netflix avec la nausée.

Pendant une heure et demie, les femmes auront été totalement absentes. C’est un film non mixte, alors que les femmes sont en première ligne depuis des années dans la lutte contre les violences policières et pour la dignité. On aperçoit pendant quelques secondes la mère éplorée et une sœur qui crie, mais elles ne sont pas dans l’action, elles subissent et font partie du décors.

La banlieue est traitée uniquement sous l’angle de la sauvagerie, peuplée d’islamistes, de dealers armés jusqu’aux dents et d’émeutiers. Il n’y a pas de liens d’amitiés, de solidarités sincères, de confiance. Aucun discours intelligible. L’esthétique émeutière paraît plaisante, mais elle sert un contenu pervers. Comme dans Les Misérables, Bac Nord ou encore Banlieue 13, les habitants de banlieue sont anxiogènes et brutaux, et même animalisés. Les flics passent presque pour des bons gars en comparaison de la faune sauvage qui vit dans les tours.

Même dans l’émeute, il n’y a pas de fraternité : les insurgés se cognent et s’insultent en permanence. Dans les années 1990, les films sur ce thème, notamment «La Haine» ou «Ma cité va craquer» suivaient des jeunes dans leurs galères, leurs embrouilles, leurs joies et leurs peine : ils humanisaient des population stigmatisées. Athena et les autres productions décadentes font exactement l’inverse.

Au fond, et c’est toute la perversité de ce film en forme de «riot porn», c’est une vision hallucinée d’une France ultra-violente, au bord de la guerre civile. La seule issue est une dictature militaire et fasciste, avec l’envoi de soldats dans les cités pour calmer tout ça. Et la seule idée qu’on retient, c’est que la révolte est illégitime, absurde, elle ne sert à rien. Rien ne différencie ce propos des délires de l’extrême droite sur une «France Orange Mécanique» ou un prétendu «ensauvagement». Cet imaginaire toxique, déjà imposé par les médias depuis des années. Rien n’émerge de ce film, sinon du cynisme, du dégoût.

«L’idée, c’est de ne pas avoir des méchants et des gentils, c’est plus complexe que ça» explique Romain Gavras à BFM, qui précise : «ce n’est pas un film à thèse». Il vient pourtant de produire le spectacle esthétisé d’une banlieue fantasmée par les fascistes. Il ajoute : «Je ne suis pas sûr que les films aient le pouvoir d’arrêter la colère […] quand on est pétri d’une colère, je ne sais pas si voir un film va l’arrêter.»


Le but d’Athéna était donc d’arrêter la colère ?


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Une réflexion au sujet de « Athéna : le film qui met en colère, mais pas pour les bonnes raisons »

  1. Désolé, les femmes ne sont pas totalement absentes : il y a une maman dévastée à qui personne ne répond au téléphone, et une sœur qui va chercher un Tropico (petit placement de produit au passage, il y a aussi Twix et Yop) au Daesh Sébastien (un converti évidemment). Sinon ce film est une catastrophe, un désastre phénoménal, là dessus nous sommes d’accord.

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