La mort atroce de la petite Lola émeut la France entière. Malgré les récupérations abjectes de l’extrême droite et la course à l’audimat indigne des médias, tout le monde ne peut que partager l’immense douleur d’une famille qui perd sa fille dans des conditions aussi insoutenables. Les racistes ont réussi à ajouter l’infamie à la tristesse, en polarisant les discussions autour de l’immigration. Ce drame aurait pu être l’occasion de parler de deux phénomènes importants et ignorés :
LES VIOLENCES FAITES AUX ENFANTS
La semaine dernière, dans le Var, un enfant de 7 ans était battu à mort dans son propre foyer. Le petit garçon a vécu un supplice : son beau-père lui a d’abord brisé le bassin en le battant et l’enfant n’a pas été emmené à l’hôpital. Quatre jours plus tard, alors qu’il hurlait de douleur, sont beau-père l’a tué. L’assassin était sous le coup d’un mandat d’arrêt et avait fait l’objet de plusieurs signalements pour des faits de violences. Cela s’est passé la veille de l’assassinat de Lola à Paris. Pourquoi cette affaire a fait beaucoup moins de bruit ? Parce que le tueur d’enfant s’appelle François H.
En août dernier, dans le Pas-de-Calais, le fils aîné d’une famille, Bryan, brisait le silence sur les agissements de ses parents contre ses frères et sœurs : un vaste système de maltraitance sur les dix enfants du foyer, âgés de 4 mois à 24 ans. Ils étaient ligotés, battus, séquestrés, victimes d’homophobie ou de violences sexuelles depuis des années. Les deux parents s’appellent Marc et Christine.
Un juge de Dijon a littéralement mis en vente sa fille de 13 ans sur internet, en proposant à des internautes de la violer. Poursuivi en justice, il a vu en sa peine allégée par la cour d’appel de Besançon il y a quelques jours : ramenée à deux ans de prison avec sursis.
Depuis le début de l’année, il y a eu près de 50 infanticides en France. Le cas de Lola, aussi terrible soit-il, n’est malheureusement pas unique ni hors du commun. Des enfants disparaissent régulièrement. On estime par ailleurs que 160.000 mineurs sont victimes de violences sexuelles chaque année dans ce pays. 5,5 millions de femmes et d’hommes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, soit un adulte sur dix. L’étendue et la profondeur de ces violences en France est telle que des chercheuses parlent même d’une «culture de l’inceste». Un culture qui infuse dans toutes les sphères de la société, et qui n’a certainement pas besoin d’une supposée immigration massive pour faire des victimes.
Le sujet des violences physiques, sexuelles ou psychologiques sur les enfants, celui des infanticides, de la maltraitance, mais aussi des graves lacunes de la protection de l’enfance et des familles d’accueils ou des services sociaux ne sont jamais abordés. C’est pourtant un sujet politique central, essentiel, qui aurait pu être évoqué après le décès de Lola. Depuis des années les services sociaux lancent des cris d’alarme, leurs moyens étant largement insuffisant pour protéger les enfants de façon efficace. Ces vies brisées, remplies de traumas, sont le fardeau d’une large part de la population. Le malaise ambiant s’est construit dès l’enfance.
PRISE EN CHARGE PSYCHIATRIQUE
L’extrême droite répète que la meurtrière de Lola est une Algérienne qui aurait commis un «francocide», la victime aurait été ciblée parce que blanche. Absolument rien ne permet de démontrer cette affirmation. En revanche, on sait que la tueuse aurait dû faire l’objet de soins psychiatriques, qu’elle venait de perdre ses deux parents et développait de graves troubles mentaux, mais qu’aucune structure n’était en mesure de l’accueillir.
Depuis des décennies, les professionnels de la santé mentale dénoncent les gouvernements qui démantèlent le système de soin psychiatrique. Dans un contexte de casse de l’hôpital public, ce secteur du soin subit encore davantage les baisses de moyens et les politiques d’austérité.
Peu après le confinement, les professionnel-les du secteur alertaient sur la forte augmentation des maladies psy, en particulier chez les jeunes, et de l’impossibilité de les prendre en charge. Ces soignant-es tiraient la sonnette d’alarme sur la crise à venir, y compris sur le plan sécuritaire. Les idées suicidaires et les tentatives de suicide explosent, la consommation d’anxiolytiques reste extrêmement élevée, les burn-out et les décompensations ne se comptent plus. Beaucoup de crises violentes pourraient être évitées en amont, avec un système de soin adapté. Mais la politique sanitaire des gouvernements qui se succèdent se résument à gérer les urgences, à poser un pansement sur des plaies ouvertes.
Les ravages psycho-sociaux du néolibéralisme détruisent des vies, rendent les gens malades, physiquement et psychiquement. Mais pour les tenants de la doctrine austéritaire, la réponse aux conséquences sordides et bouleversantes de leurs politiques, c’est plus de fermeté face «aux déviants». En 2008, suite à l’assassinat à Grenoble d’un étudiant par un malade échappé d’un hôpital psychiatrique, Nicolas Sarkozy avait dit à l’époque qu’il ne voulait pas «laisser les monstres en liberté» et il avait imposé un enfermement sans avis médical ni jugement, une violation assumée des droits fondamentaux.
Aujourd’hui, dans les prisons, un quart des détenu-es relèvent de soins psychiatriques plutôt que de sanctions pénales. Les prisons deviennent des asiles, dans lesquels les prisonniers et prisonnières sont bourré-es de cachets et ressortent encore plus détruit-es, représentant parfois même un danger.
UNE RÉCUPÉRATION ÉHONTÉE
Derrière la mort de Lola et bien d’autres terribles affaires moins connues se combinent des problèmes de santé publique et une absence de gestion des violences faites aux enfants. Mais ce drame est instrumentalisé par l’extrême droite, qui polarise toute l’attention sur l’immigration. De fait, la société se désagrège sous l’effet du capitalisme sauvage. Tout le monde voit bien que la violence sociale, interpersonnelle ou auto-destructrice augmente. Réclamer toujours plus de police, plus de racisme, plus d’autorité plutôt que de traiter les causes ne fera qu’aggraver les problèmes.