Comment la France vend ses armes de maintien de l’ordre partout dans le monde
Le 29 novembre 2022, les autorités iraniennes ont reconnu, pour la première fois, un bilan de 300 personnes tuées lors du soulèvement en cours. En septembre, une jeune kurde d’Iran, Jina Mahsa Amini, trouvait la mort peu après son arrestation par la police des mœurs. Depuis, le pays connaît une vague de révoltes massives et diffuses. Le régime déploie une répression féroce : tirs sur les manifestant-es, arrestations de masse, blocage d’internet. Mais aussi l’usage de viols comme armes de terreur contre les femmes arrêtées, et récemment l’assassinat d’enfants. Kian Pirfalak, un enfant de neuf ans, a été tué par une milice du régime mercredi 16 novembre, lors de manifestations dans le sud-ouest de l’Iran. Plusieurs adolescent-es avaient déjà été abattu-es.
La cheddite est une classe d’explosifs à base de chlorates. Leur nom vient du village de Chedde en Haute-Savoie, dans le sud de la France. Cet explosif a donné son nom à une entreprise basée en France et en Italie. Sur son site, Cheddite France se revendique comme «le leader mondial de la production de douilles et d’amorçages pour les cartouches de chasse et de ball-trap» et explique que ses usines fabriquent «plus d’un milliard de douilles et près de 1,4 milliards d’amorçages» d’une «qualité made in France».
Sauf que, les munitions ramassées par terre par les protestataires iraniens, après que la police ait tiré sur la foule, comportent le logo de la firme Cheddite. Les tirs qui tuent en Iran viennent, pour certains, de France.
Le média France 24 a analysé plus de 100 photos et vidéos de cartouches utilisées par la police iranienne contre les manifestant-es. Des bombes lacrymogènes, des balles de fusil, des projectiles de paintball et des cartouches de fusils à pompe, très utilisées par les forces de sécurité iraniennes. Les munitions trouvées dans huit villes iraniennes différentes portent le logo de Cheddite.
Un manifestant explique à France 24 que le régime essaie de cacher la provenance de leurs balles : «Quand ils tirent sur les gens, ils essaient toujours de ramasser toutes les cartouches vides sur le sol. Celle-ci était tombée quelque part dans l’obscurité. Ils ne l’ont pas vue, et j’ai pu la trouver quand ils étaient partis.» Une cartouche ramassée à Téhéran présente le logo de Cheddite et il est indiqué «Iran 2020/01». C’est scandaleux, mais aussi illégal. L’Iran est sous embargo, et la vente d’arme à ce pays est très contrôlée. Le fabricant peut être tenu pour responsable de cette répression sanglante, il est tenu de contrôler ses chaînes de vente. En mars 2021, des munition de Cheddite ont déjà été récoltées en Birmanie, autre pays soumis à un embargo de l’Union Européenne sur les équipements de répression.
L’utilisation d’armes Made In France par d’autres pays pour sa répression n’est pas une nouveauté. La France est l’un des premiers exportateurs d’armes du monde. Non seulement des armes militaires, mais aussi des armes de maintien de l’ordre.
Les munitions du concepteur de Flash-Ball Verney Carron ont été vendues au Portugal, en Slovaquie, au Maroc, au Sénégal ou en Indonésie. Durant la vague d’insurrections qui s’est emparée du monde arabe en 2011, les policiers du Bahreïn, un petit royaume du Golfe, ont asphyxié des dizaines de personnes en tirant des grenades lacrymogènes directement dans leurs domiciles. Des grenades fabriquées par l’entreprise Alsetex, les mêmes qui sont utilisées en France. À cette époque, la Ministre de l’Intérieur parle du «savoir faire français» en matière de répression et propose d’aider les pays arabes.
En juin 2013, la police turque d’Erdgan avait tué des manifestant-es en envoyant des grenades en tirs tendus, notamment Berkin, 15 ans. Deux ans plus tôt, le ministre de l’Intérieur français avait signé avec le gouvernement turc un «accord de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure». À l’automne 2014, au Burkina Faso, une série d’émeutes chassent le chef d’État. Il y a plusieurs morts et des blessé-es. Les manifestant-es ramassent les cartouches tirées : des grenades françaises. En Afrique de l’Ouest, les munitions françaises sont partout, encore récemment au Niger, où des grenades ont été tirées.
Depuis 2020, le Liban est en proie à de graves crises politiques et économiques. La police tire de nombreuses grenades lacrymogènes. Les munitions ramassées par les manifestant-es sont françaises. Alsetex vend aussi au Liban des munitions «perforantes» pour le maintien de l’ordre, potentiellement mortelles. En novembre 2021, un jeune homme meurt asphyxié à Sfax, en Tunisie, après un usage massif de lacrymogènes. Ici encore, les grenades viennent de France.
Même chose à Hong Kong : les canons à eau tout neuf envoyés par le régime chinois contre les insurgés en 2019 sont produits… en France ! Un journal chinois décrivait en 2018 la livraisons de ces véhicules «anti-émeute fait sur-mesure en France». Le nom du véhicule ? «Cerberus», le nom du chien qui garde l’entrée des enfers dans la mythologie grecque. L’engin est produit par Sides et Essonne Sécurité.
Les usines françaises qui produisent et disséminent leurs armes aux quatre coins de la planète ne le font pas seules. La plupart de ces ventes sont supervisées par le sommet de l’État. Ces entreprises qui sèment la mort et le désespoir dans le monde ont des noms et des adresses. Et elles se trouvent parfois tout près de chez vous…