«Antifa», la FNAC rétropédale : itinéraire d’un (nouvel) emballement d’extrême droite

C’est le but contre son camp de la semaine. Il y a trois jours, le député d’extrême droite Grégoire de Fournas diffamait le jeu «Antifa» sur Twitter. Peu après, un syndicat policier, d’extrême droite lui aussi, invectivait la FNAC qui commercialisait le jeu. La chaîne Cnews s’emparait de l’affaire. Quelques heures plus tard, il était retiré des rayons : la FNAC se soumettait. 48h de polémiques et de bad buzz plus tard, l’entreprise annonce qu’elle remet en vente le jeu, le député avoue qu’il a raconté n’importe quoi, et le syndicat policier prétend qu’il est «apolitique» pour éviter de se ridiculiser. Et en prime, le jeu «Antifa» a été pris d’assaut : il est en rupture de stock suite à cette publicité inattendue. Tout est bien qui finit bien ? Pas vraiment. Analyse.

⚫ La dérive de la FNAC

L’entreprise a publié un communiqué vaseux mardi 29 novembre, des explications auxquelles personnes ne peut croire. Elle prétend qu’elle ne «connaissait pas le contenu» du jeu, qu’elle l’a retiré «à titre de précaution» et qu’elle l’a finalement remis en rayon car il ne comporte rien «d’interdit par la loi». Pourtant il y a deux jours, les communicants de la FNAC parlaient de “jeu” entre guillemets, retiré des rayons «dans les prochaines heures» après le signalement d’un syndicat policier. La FNAC s’est soumise à des fascistes et des policiers mythomanes et se retrouve obligée de rétropédaler, pour maintenir une image pas trop déplorable. Mais cet événement est révélateur à plus d’un titre sur la fascisation de la société.

Les fondateurs de la firme, après la guerre, étaient Max Théret et André Essel. Deux anciens résistants, militants marxistes qui ont participé à la création des Jeunesses Socialistes Révolutionnaires. Ils ont fondé la FNAC pour «démocratiser les produits culturels». C’était donc, littéralement, des «antifas». 70 ans plus tard, l’entreprise vend des livres d’extrême droite mais est prête à censurer un jeu antifasciste à la moindre injonction. Les temps changent.

⚫ Comment l’extrême droite impose ses obsessions ?

Un bouffon raciste comme Grégoire de Fournas devrait être couvert de honte, oublié dans les poubelles de l’histoire, évidemment pas pris au sérieux, surtout après avoir hurlé «qu’il retourne en Afrique» en plein Parlement à un député noir. Et pourtant. C’est lui qui a lancé une campagne qui a porté ses fruits.

Cet emballement est révélateur. En France, l’extrême droite dispose de puissants relais, notamment des chaînes de télé qui lui permettent de dicter son agenda. On le voit tous les jours : les mouvements sociaux ne sont traités que sous l’angle d’une «menace d’ultra-gauche», on parle de “wokisme” ou “d’islamogauchisme”, la fachosphère crée ses propres polémiques : une séance de karting en prison, un fait divers, des fake news sur un couple délogé par des squatteurs… «L’insécurité» et l’Islam sont devenus des obsessions nationales et la police une nouvelle religion d’État. En général, ces emballements finissent par se dégonfler. On le voit avec l’affaire de la FNAC. Les mensonges finissent par être démentis. Mais le mal est fait. Ce qui a été imprimé dans les millions de cerveaux, c’est le lexique et les idées d’extrême droite. À la longue, ça fonctionne.

⚫ Comment l’antifascisme est-il devenu une insulte ?

Après-guerre, tout le monde était antifasciste, ou du moins, après l’épisode tragique du nazisme et du pétainisme, il était très difficile d’assumer encore des idées d’extrême droite. Dans les années 1970, quand le FN se lance en politique, il récolte moins de 1% des voix. La médiatisation de Jean-Marie Le Pen à la télé dans les années 1980 et les trahisons répétées de la gauche vont le faire monter de façon fulgurante. Mais en 2002, des millions de personnes sont dans la rues contre Le Pen. Même Chirac refuse de débattre avec lui au second tour. Il est encore admis, y compris par les syndicats, qu’il faut empêcher les racistes de s’exprimer et attaquer leurs meetings. L’antifascisme est encore ultra-majoritaire, consensuel.

Dix ans de Sarkozysme et de Hollandisme vont banaliser l’extrême droite comme jamais. En 2013, des centaines de milliers d’homophobes manifestent contre le mariage entre personnes du même sexe. Il y a peu de réactions après la mort du jeune Clément Méric, tabassé par une brute néo-nazie. Pire, une partie des médias reprend les mensonges de l’extrême droite, transformant la victime en coupable. Le mot «antifa» prend peu à peu un sens péjoratif, il devient synonyme de «groupuscule violent», de «mal», de «danger». À présent, s’opposer au racisme est même qualifié de «séparatisme». C’est un vrai tour de force, une vraie inversion des valeurs. Car en principe, celles et ceux qui ne sont pas fascistes sont, par définition, antifascistes.

En 2022, les nostalgique du pétainisme disposent de puissantes chaînes de télé, de généreux mécènes et des dizaines d’élus au Parlement. C’est ainsi qu’ils peuvent, avec leurs relais policiers, faire censurer un jeu, une expression, diaboliser leur opposition.

Nous sommes donc tombés lentement mais sûrement dans l’obscurité. En 50 ans, l’extrême droite a construit une hégémonie culturelle, colonisé les médias, imposé ses idées dans tout le champ politique. Mais il ne tient qu’à nous de contre attaquer. Ce n’est pas à notre camp d’avoir peur ni d’avoir honte. Nous n’avons pas à nous excuser ni à adapter nos discours et nos pratiques aux attentes de nos ennemis. L’avenir est à nous, pas aux promoteurs de régimes mortifères ni aux adeptes de la violence raciste et autoritaire.

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