Nounours et gilets pare-balles : opération contre-insurrectionnelle au CHU
Il fut un temps où l’on envoyait des clowns pour faire rire les enfants hospitalisés. Aujourd’hui, ce sont des policiers armés, en uniforme, avec des chiens et des motos qui débarquent à l’hôpital pour faire essayer leur matériel aux petits malades. Pas sûr que les enfants aient gagné au change.
L’hôpital est mourant. Les enfants touchés par l’épidémie de bronchiolite sont actuellement triés à l’accueil des urgences, faute de places et de moyens. Les soignant-es crient leur désespoir depuis des mois. Mais la police, qui croule sous l’argent public, profite des fêtes pour faire sa propagande, aidée par la presse préfectorale. Il est difficile de ne pas avoir de haut le cœur à la lecture de cet article de Ouest-France, journal en service commandé, qui publie la photo d’un petit garçon harnaché comme un CRS, entouré de policiers, tout en s’émerveillant d’une distribution de nounours.
Le 7 décembre, une véritable armée a débarqué dans les services pédiatriques du CHU ce Nantes. La police aux frontières, celle qui traque et expulse les réfugié-es. La compagnie départementale d’intervention, cette unité ultra-violente responsable de la majorité des blessures en manifestation, celle qui a attaqué la fête de la musique en 2019, causant la mort de Steve. La compagnie républicaine de sécurité, les célèbres CRS, qui répriment les luttes et quadrillent les quartiers. La brigade canine et ses chiens de combat, une unité de motards, et même la brigade de recherche et d’intervention (BRI), cette unité «d’élite», militarisée, chargée du grand banditisme et du terrorisme.
Le journaliste de Ouest-France s’enthousiasme pour ce «déploiement de gyrophares et de véhicules sérigraphiés» sous les fenêtre de l’hôpital. Ce sont donc des dizaines de policiers, leurs nombreux véhicules et leur équipement qui ont débarqué dans les couloirs du CHU, garant même deux motos à l’intérieur pour les montrer aux enfants. On nous répète depuis des mois que Nantes serait une ville où règne l’insécurité, que la police manque de moyens, qu’il n’y a pas d’équipement ni de policiers. Le mensonge vole en éclat : des équipages entiers de forces de l’ordre sont payés pour organiser un tel événement sur leur temps de travail.
Ouest-France raconte donc avec gourmandise la distribution «de nounours, livres de coloriage et de goûters», comme si c’était le rôle de la police. Mais aussi la présence de chiens et l’essai de l’équipement lourd des policiers, qu’ils mis sur les enfants. Il ne manquait d’une photo à publier dans la presse pour compléter l’opération de communication : la police aime les enfants et offre des doudous.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. De propagande sur le dos d’enfants malades. Si les policiers veulent aider l’hôpital et les jeunes patients, pourquoi ne le font-ils pas sur leur temps libre, sans uniforme et surtout sans photographes ? Pourquoi ne refusent-ils pas de réprimer les soignant-es lors des manifestations réclamant plus de moyens pour l’hôpital ? La direction de la police nantaise assume dans Ouest-France : « Cela fait partie de la volonté de rapprochement entre la police et la population. Nous en profitons pour faire découvrir nos métiers et notre matériel ». Les autorités revendiquent donc à demi mot l’instrumentalisation de petits hospitalisés pour promouvoir un métier de plus en plus détesté. Le cynisme est à son comble.
Que dire de la complicité des soignant-es ? Dans la presse, «la cadre de santé Stéphanie Hiou» trouve ce type d’opération «totalement bénéfique. C’est une activité extra-hospitalière au sein même de l’hôpital. Cela leur permet d’échanger et de voir des jouets grandeur nature». Les armes de la police sont donc des jouets : comble de l’indécence lorsqu’on sait les sévices médicales trop souvent subies par les personnes blessées par la police, quand les soignant-es ne les livrent pas directement à la police.
La police dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les activités périscolaires : ce cauchemar ne peut avoir lieu sans la collaboration active de soignant-es, de profs, d’animateurs et animatrices. Ont-ils oublié qu’après le confinement, les forces de l’ordre gazaient et matraquaient les soignant-es qui manifestaient ?
Le 27 septembre en Seine-Saint-Denis des élèves de CM1 étaient initiés par des policiers à la matraque, au port de casques et de gilets pare balles. Les parents avaient protesté. À Poissy le 7 octobre, 500 élèves en classe de 3e ont suivi une «formation» animée par des policiers. Le 28 septembre c’était à Toulouse. Quelques jours plus tôt, des collégiens de la ville de Méru, dans l’Oise. Cet été, c’était à Strasbourg que des adolescents suivaient un atelier «menottage» avec la même structure. À chaque fois, les images publiées par les policiers à l’origine de ces opérations montrent des enfants en tenue de maintien de l’ordre, qui frappent, tirent sur des cibles, montent sur des motos de police… À Nantes, des contrôleurs et des policiers sont intervenus dans des collèges. Il faut ajouter à cela le SNU, un service macroniste destiné aux lycéens, pour lequel le gouvernement a débloqué des milliards d’euros.
Tout est fait pour endoctriner les enfants dès le plus jeune age. La répression physique de plus en plus insoutenable et contestée ne peut s’imposer qu’en préparant les esprits, en rendant légitime la violence de la police. C’est une opération de contre-insurrection, une forme de propagande théorisée par l’État français depuis la Guerre d’Algérie. Cette doctrine politique et militaire vise à obtenir le soutien de la population dans le cadre d’un conflit entre les autorités et des contestataires qui veulent les renverser.
Il s’agit de mener des actions de propagande en parallèle des actions de répression, pour obtenir l’adhésion des habitant-es et donc isoler les opposant-es. Cette doctrine a été utilisée lors des guerre coloniales puis exportée dans de nombreux régimes autoritaires. Derrière ces «loisirs» ou ces «dons de cadeaux aux enfants malades», il s’agit d’habituer dès le plus jeune âge la population aux pratiques policières et militaires et à la présence d’hommes armés dans des lieux d’éducation et de soin. Cela n’a rien d’anodin. Cela a tout d’un régime autoritaire, d’un État policier.
Le publireportage de Ouest-France.