1er janvier 1994 : il y a 29 ans, le soulèvement au Chiapas contre l’Empire


«Changer le monde sans prendre le pouvoir»


«Ya Basta !», «Ça suffit». L’année 1994 venait à peine de démarrer, il y a 29 ans. Dans l’État du Chiapas situé au Sud-Est du Mexique, région pauvre, abandonnée, dominée par une oligarchie raciste et peuplée majoritairement d’indigènes mayas. Il est minuit trente, des insurgés débarquent en masse depuis les Hautes Terres, prennent la ville de San Cristóbal de las Casas et d’autres chefs-lieux. Les mairies sont saccagées pendant la nuit, avant que les insurgés ne repartent vers l’arrière pays, aussi mystérieusement qu’ils sont apparus.

Une véritable armée s’était entraînée secrètement depuis des années en vue du soulèvement : l’EZLN, Armée Zapatiste de Libération Nationale. Une référence au révolutionnaire Emiliano Zapata, paysan métis qui fut un héros de la révolution mexicaine entre 1910 et 1920 et qui mourut lâchement assassiné. Un mythe dans l’imaginaire latino-américain. En 1994, l’EZLN appelle à un soulèvement pour «le travail, la terre, le logement, l’alimentation, la santé, l’instruction, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix». L’organisation horizontale «ne réclame pas le pouvoir».

Pourquoi avoir choisi le réveillon 1994 pour déclarer la guerre à l’État mexicain ? Car c’est cette nuit-là qu’entre officiellement en vigueur l’ALENA, un traité de libre échange entre les USA et le Mexique, qui met directement en concurrence l’agriculture intensive des grands propriétaires États-Uniens et les petits paysans indigènes du Mexique, condamnés à la mort économique. Cette date, symbolique, ouvre un front contre le néolibéralisme et la mondialisation. C’est une guerre à l’Empire.

Le gouvernement envoie une armée dix fois supérieure en nombre et en armement pour réprimer le soulèvement. Les combats durent 12 jours et tuent plusieurs centaines de personnes. Le président mexicain annonce un cessez-le-feu unilatéral le 12 janvier 1994. Mais en réalité, les affrontements continuent. Les Zapatistes déclenchent une nouvelle offensive en décembre 1994 et prennent cette fois le contrôle de 38 communes du Sud du Mexique, dont Palenque, une cité maya.

Au Chiapas, la révolution prend la forme de communes autogérées, les caracoles, et repose sur le slogan : «tout pour tous et rien pour nous». C’est l’une des premières fois qu’un soulèvement organisé ne cherche pas à détenir l’autorité ni à gagner les institutions. «Nous voulons avant tout la paix. Je le répète, nous ne voulons pas le pouvoir, ni même devenir un parti politique. Il y en a déjà assez» disent les zapatistes. Une formule restée célèbre : «Changer le monde sans prendre le pouvoir».

L’une des figures du soulèvement est le sous-commandant Marcos, cagoule noire, pipe fumante et cartouches de fusils. Il explique qu’au Mexique, les indiens étaient «invisibles», inexistants, et que «c’est en masquant nos visages qu’on nous a vus et que nous sommes devenus visibles».

En 1996, des accords signés entre le gouvernement Mexicain et l’EZLN accordent une large autonomie et reconnaissent des droits particuliers aux Indiens. Mais en parallèle, le pouvoir créé une unité spéciale de contre-insurrection et arme des groupes paramilitaires. L’armée israélienne forme les forces de police. La France et les USA vendent des blindés servant à la répression. Le Chiapas est militarisé. Plusieurs campements de l’armée sont installées à proximité des communes zapatistes.

En décembre 1997, le village d’Acteal est la cible d’un massacre commis par des paramilitaires, qui tuent 45 villageois pour la plupart indigènes. Mais les communes autonomes tiennent bon et sont encore debout aujourd’hui. Les zapatistes ont leur propre système de santé. Des paysans sont formés pour être médecins non rémunérés et se relaient tous les 15 jours pendant que d’autres paysans travaillent leur terre. La population s’organise pour assurer les besoins essentiels : éducation, soins et nourriture, en se passant au maximum d’argent et d’autorité. La lutte des Zapatistes a inspiré les mouvements anticapitalistes et altermondialistes du monde entier.

En 2006, au Nord de l’État du Chiapas, dans la ville d’Oaxaca qui compte également une forte proportion d’indigènes, une grève des enseignants évolue en insurrection et à la constitution d’une assemblée populaire de peuples d’Oaxaca, soutenue par l’EZLN. Le soulèvement sera férocement réprimé.

Le 21 décembre 2012, date de la fin du monde selon le calendrier maya, 45.000 Indiens cagoulés défilent dans les cinq grandes villes du Chiapas.


Une brève déclaration ponctue la marche silencieuse : «Écoutez, écoutez, le bruit de votre monde qui s’effondre, et d’un autre qui surgit».


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