Quatrième manifestation contre la casse des retraites et son monde : un avant-goût de printemps ?
Samedi 11 février, deuxième manifestation de la semaine, après la marée humaine du mardi. C’est un samedi, l’affluence est difficile à anticiper. Les non-grévistes vont-ils grossir les rangs ? L’absence de grève risque-t-elle au contraire diminuer la mobilisation ? Finalement la réussite est totale, c’est la foule des grands jours. Les syndicats font le plein mais il y a aussi plus de manifestant-es lambdas, parfois venu-es pour la première fois, et beaucoup de jeunes.
Le grand soleil donne un air de printemps avant l’heure près du château. La présence d’individus louches, armés et cagoulés rodant avant le départ provoque une certaine anxiété, mais le cortège démarre sans encombres. Des membres de la CGT spectacle déguisé-es en sans-culottes révolutionnaires ouvrent la marche, suivis par un énorme cortège de tête, le plus gros de l’année, avec des premières lignes déterminées, des banderoles étudiantes, un cortège féministe, puis les bataillons syndicaux. L’UNSA et son service d’ordre de policiers se situe à l’avant de la partie syndicale, clairement hostile.
Le long du cours des 50 Otages, c’est une foule extrêmement dense et compacte sur toute la largeur de l’avenue. On se rend compte qu’il y a vraiment beaucoup de monde. 70.000 selon les syndicats, peut-être la plus grosse manifestation de l’histoire nantaise, plus qu’en 68. Il y a un tambour, des chansons, quelques sonos et beaucoup de pancartes. La lutte reprend des couleurs.
Ce samedi, pas question de se laisser guider comme du bétail entre des haies de CRS. Une ligne est repeinte de couleurs vive. Cette création picturale déclenche une réponse «proportionnée» des forces de l’ordre : grenades de désencerclement dans la foule et gaz suivis d’une grosse charge. Le ton est donné, et cela va durer pendant plusieurs heures.
Quelques mètres plus loin, le cortège se reforme. Double charge de chaque côté de l’avenue pour arracher la banderole. Feux d’artifice. Un extincteur fait reculer des gendarmes. Une personne est arrêtée. Regroupement à nouveau. Le commissariat du cours Olivier de Clisson est tagué et repeint. Pour une fois, l’énorme dispositif policier semble un peu désorganisé par l’ampleur de la manif. Mais cela ne suffit pas pour réussir à sortir du parcours habituel : nouveaux affrontements square Daviais, puis sur le quai de la Fosse. Des vitrines tombent. Un camion syndical joue «La Macarena» pendant que les lacrymos remplissent l’air. Le service d’ordre de l’UNSA s’en prend à des personnes masquées, provoquant des tensions. Il faut souligner en revanche que des syndicalistes CGT font bloc avec la jeunesse contre la répression.
Le cortège traverse le pont sous les gaz. C’est déjà fini ? Non : départ en deuxième tour, alors qu’un flot continu de personnes traverse la Loire et vient grossir la foule. Cette fois-ci, il n’y aura pas de dispersion rapide. Pendant une heure, les charges et contre-charges se succèdent près du tribunal. À force de bloquer toute l’arrivée de cette énorme manifestation, l’irresponsabilité policière insupporte tout le monde. On voit même des syndicalistes jeter des projectiles ou pousser des CRS. Beaucoup de gaz sont tirés sur le bord de Loire et le pont Anne de Bretagne, à quelques pas de la noyade de Steve en 2019, dans les mêmes circonstances. Les policiers sont en roue libre.
Une manifestation sauvage parvient à retourner vers le centre ville. Une barricade apparaît quai de la Fosse. La BAC charge et un enfant d’une douzaine d’années est plaqué au sol et arrêté. Deux autres interpellations ont lieu au même moment. Une voiture de police est coursée par des manifestant-es. Le soleil couchant teinte les gaz d’une lumière dorée. Il y a l’envie de tenir la rue : un rendez-vous circule pour relancer un départ de la croisée des trams, mais le projet est avorté par un déploiement conséquent de CRS, encore. Le droit de manifester est décidément loin à Nantes : il est interdit d’être vu et entendu dans le centre-ville et aux abords des artères commerçantes. Les nettoyeurs de la mairie effacent déjà les tags. Fin de partie pour cette fois.
Ce mouvement est un véhicule diesel. Timides au mois de janvier, les manifestations semblent de plus en plus déterminées face à la surdité du pouvoir et la violence de la police. Maintenant que le moteur est chaud, en route vers la grève générale. Prochain rendez-vous nantais : jeudi 16 février pour une manifestation nocturne …
Images : Kydam Piécassé, James C., Alexia G.