Un rapport de l’administration française épingle le traitement judiciaire largement insuffisant des infractions économiques et financières en France. Médiapart a pu accéder et rendre public ce rapport détaillé de l’inspection générale de l’administration (IGA), de l’inspection générale de la Justice (IGJ) et de l’inspection générale des finances (IGF), tenu secret depuis avril 2020. Celui-ci révèle les failles de la justice en matière de délinquance éco-financière.
Il décrit le taux extrêmement élevé (70%) de classements sans suite, de non-lieu ou de relaxes concernant les signalements faits par la Cour des comptes, ou encore le recours important au système d’alternative aux poursuites en matière d’infraction économique et financière, évitant ainsi aux prévenu-es de comparaître en procès et de s’exposer à la publicité des débats. Des peines symboliques sont également largement prononcées quant aux affaires de délit de favoritisme.
Les administrations rédactrices de ce rapport déclarent que «le ministère de l’intérieur considère que cette délinquance ne constitue pas une priorité au regard d’autres enjeux (sécurité des personnes, terrorisme et radicalisation, ordre public)». Une réalité qu’on peut observer chaque jour dans les tribunaux de France. Les salles d’audience éco-financières se vident, contrairement aux chambres des comparutions immédiates, surchargées, qui ne cessent d’envoyer en prison des prévenu-es pour des vols au préjudice dérisoire, des outrages ou encore la possession de quelques grammes de stupéfiants, après des procès sommaires des plus expéditifs et répressifs !
Un officier de la brigade de lutte contre la corruption, qui enquête sur des affaires aussi graves que les financements libyens de Sarkozy ou le dossier Dassault, explique à Médiapart : «Récemment, pour aller faire une perquisition dans le Sud-Ouest, il n’y avait qu’une caisse pourrie qui menaçait à tout moment de tomber en panne». Pendant ce temps, dans la rue, la police a des SUV flambants neufs, des armes de guerre et tous les moyens imaginables pour surveiller et punir.
Ce choix d’orientation et de priorité des politiques pénales relèvent pour beaucoup du fait que ce genre d’affaires nécessite des enquêtes longues et complexes, sans être assuré d’obtenir des condamnations effectives. La justice française estime en effet que son efficacité se mesure en terme de taux de condamnation et privilégie alors la poursuite des infractions les plus facilement condamnables. La justice fait donc le choix de poursuivre en priorité celles et ceux dont la condamnation ne coûtera aucune enquête, par des jugements expéditifs : les personnes précaires et marginalisées, les petits délits insignifiants sont donc la cible favorite d’une justice de classe qui protège à tout prix ses congénères.
Car c’est aussi une solidarité clanique entre riches : un juge ou un procureur a beaucoup plus de choses en commun en terme de goûts, de réseaux, de niveau de vie ou de vision du monde, avec un patron ou un ministre véreux qu’avec un habitant de quartier populaire. Ainsi, il n’y a jamais eu autant de personnes incarcérées en France, quoiqu’en disent les médias dominants qui parlent d’insécurité à longueur de journée, et toujours la même impunité pour la délinquance en col blanc. Le seul «laxisme» judiciaire qui existe, c’est à l’égard des riches et des puissants.
Parmi les 150.000 policiers français, quelques dizaines sont des enquêteurs spécialisés sur les affaires économiques et financières. Autant dire rien, pour traiter des affaires tentaculaires de fraude fiscale, de corruption ou de détournement qui nécessitent d’importants moyens… Le ministre de l’Intérieur préfère gonfler les rangs de ses matraqueurs assermentés dans les rues, pour mater la petite délinquance et les opposant-es politiques. N’attendons rien des autorités, il n’y a pas de bonne police. Face aux voleurs en cols blancs, réquisitionnons les richesses.
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