1er mai, grand soleil : c’est le rendez-vous annuel de la fête des travailleurs et travailleuses. Mais cette année, elle a lieu dans un climat incandescent. 3 mois de bataille acharnée, des actions dans tous les sens, les ministres traqués, un pouvoir isolé et autoritaire. Et une colère qui continue de monter encore et encore. Récit d’une folle journée.
Le rendez-vous, sur l’île de Nantes, lieu isolé et propice à toutes les nasses, n’a pas effrayé grand monde. Malgré un jour sans transports en commun et une ville habituellement déserte, des dizaines de milliers de personnes se pressent au rendez-vous. Le cortège déborde des deux côtés de la Loire, et met longtemps à partir en direction du centre-ville tellement l’affluence est importante. La déferlante qui va submerger Nantes.
À l’avant, un cortège multicolore : des gilets jaunes et oranges, des kways noirs, des chasubles rouges ou violettes. Le bloc et sa banderole sont applaudis au moment du départ. Il y a des tambours, des slogans, des étendards de couleurs, l’ambiance est excellente. Il y a aussi beaucoup de familles, des enfants.
Dès les premières intersections, des barrières sont posées face aux lignes de police. Pas question de les laisser terroriser la mobilisation. Premiers tirs de grenades par des gendarmes près de la Médiathèque, au bout de quelques minutes de marche. Une lycéenne de 17 ans est gravement blessée à l’œil. Affrontements. La journée va être longue.
Puis l’avant de la manifestation se scinde en trois parties. L’énorme dispositif policier est instantanément débordé. Trois chemins parallèles : le long du tram, au cœur de Feydeau et devant le CHU, avec des tags et des symboles du capital ciblés, avant un feu d’artifice général à la croisée des trams. Le drone ne sait plus où donner de l’œil. Des colonnes de CRS refluent en courant sous les crépitements. Des barricades se montent dans les lacrymogènes pendant que les cortèges internationalistes, aux couleurs du Rojava ou des luttes latino-américaines, s’engouffrent sur le Cour des 50 Otages.
Il y a énormément de monde. L’avenue qui venait d’être passée au karcher est abondamment taguée. Chaque provocation des forces de l’ordre est contenue par des lignes de parapluies, des projectiles et parfois des cocktails molotov. À partir de là, la manifestation est sens dessus dessous. Des initiatives innombrables ont lieu et ne peuvent pas toutes être racontées, mais une chose est sûre : la police ne peut rien faire pour contrer la vague qui submerge le centre-ville.
Un affrontement important éclate devant la préfecture, dont l’entrée est forcée avant qu’un feu n’y soit allumé. Peu après, le sous-sol du Conseil Départemental est lui aussi en flammes. Des affrontements ont lieu jusque dans la cour, après que le lourd portail métallique ait cédé. Plus loin, du gaz tombe Cour Saint-Pierre. Retour à la préfecture : les gendarmes envoient des grenades explosives. Un manifestant est gravement blessé à la jambe et à la main. Les gendarmes, pourtant prévenus, tirent régulièrement des grenades lacrymogènes près du monument où le blessé est pris en charge. Alors que les pompiers arrivent, c’est la charge : les militaires percent violemment le cortège, utilisant l’ambulance comme protection. La scène est surréaliste, des street médics nettoient les yeux de plusieurs pompiers gazés tandis qu’ils évacuent un homme se vidant de son sang.
Des cortèges syndicaux tentent de passer. Nouvelle charge des gendarmes, qui se retrouvent encerclés par des manifestants de tous bords, y compris des syndicalistes, et doivent finir par se replier. Les forces armées sont incapables de protéger la préfecture, là d’où s’organise la répression du pouvoir de l’État.
Cours Saint-Pierre, un cortège tente de passer par l’arrière de la préfecture, puis envahit la place de la cathédrale pour y monter une barricade en dents de dragons. Plus loin, un Fenwick est démarré, il fait des dérapages sur le terre-plein avant d’emmener des manifestants vers le château et de finir brûlé au miroir d’eau. La CRS 8 lance des assauts très violents sur le Cour. Des SUV se consument en contrebas. Nombreux tirs de grenades explosives. Mais tout le monde résiste. Le flux immense des manifestant-es à l’arrière continue d’arriver, personne ne se laisse faire et la police est débordée.
Après un moment de flottement, plusieurs groupements se reforment. Une fête démarre au miroir d’eau à grand renfort de sonos. Un rafraîchissement Place du Bouffay. Entre les deux, des affrontements très durs rue de Strasbourg. Il y a à nouveau beaucoup de blessé-es par des tirs de LBD. La police gaze le square Mercoeur, où se trouvent des enfants. Des affrontements se déplacent vers le CHU. Le sol est jonché de restes de grenades de désencerclement. Il y a beaucoup d’interpellations visant des personnes isolées. À Bouffay, un gros brasier est allumé. La BAC attaque, menace des gens en terrasse, frappe, repart.
À 19h, une barricade est de nouveau allumée croisée des trams. Tous les murs ont des choses à dire. Une folle journée prend fin, pleine de rage et de courage.
Images : Marion Lopez, Oli Moizan, Elena, Alexis, presse locale, CA.