53 ans plus tard : le massacre de l’Université de Kent State


Le 4 mai 1970, la garde nationale assassine quatre étudiant-es, et en blesse grièvement neuf autres. C’était lors d’un rassemblement contre la Guerre au Vietnam et l’annonce de Nixon de l’invasion du Cambodge, sur le campus de l’Université de Kent State dans l’Ohio aux Etats-Unis.


Deux images du massacre à l'Université de Kent State.
En haut : des soldats munis de fusils à baïonnettes se tiennent devant des étudiant-es en train de se faire gazer.
En bas : une jeune femme hurlant devant un corps étendu par terre.

Quelques jours plus tôt, le 30 avril une manifestation étudiante s’improvise dans la ville, comme dans beaucoup d’autres universités du pays, suite à l’annonce du président Nixon d’envahir le Cambodge. Quelques vitrines, symboles du capitalisme, sont brisées. La police intervient et procède à des interpellations. Dès le lendemain, des effectifs de police sont appelés en renfort.

Une peur irrationnelle monte dans les rangs des forces de l’ordre. Dans tout le pays, les gouvernants alimentent l’idée complètement fausse d’un climat de terreur et de la dangerosité des étudiant-es. Les rumeurs tournent sur les «extrémistes locaux», les étudiant-es appartenant au SDS (organisation de contestation étudiante, engagée notamment contre la guerre du Vietnam) et de son aile plus radicale appelée «Weathermen» – les «météorologues» qui annoncent la tempête, un groupe anti-impérialiste qui vient d’émerger.

Ces organisations attisent la terreur d’un soulèvement de la jeunesse chez les dirigeants et les forces de l’ordre qui ont notamment besoin de chair à canon à envoyer au Vietnam. Cette organisation est donc la cible des renseignements et se trouve même infiltrée par le FBI. Pourtant le nombre de militant-es au SDS s’effondre dès la fin de l’année 1969 et on considère que c’est la fin du SDS au début de l’année 1970. À l’heure du massacre de Kent State, le SDS n’existe donc plus. Il ne reste qu’une poignée de membres du Weathermen qui entrent en clandestinité. Le FBI gonfle volontairement les chiffres et la puissance du collectif afin d’attiser la peur dans le grand public américain.

Dans ce contexte, la garde nationale est appelée à intervenir à Kent State. Ce sont des groupes de combat, absolument pas formés au maintien de l’ordre ou à l’encadrement des foules. La garde de l’Ohio avait déjà été envoyée pour contrôler les grèves d’ouvriers, comme à Ritchfield, ou encore pour écraser les grandes révoltes afro-américaines à Cleveland, Akron et Cincinnati, et ici en 1970 pour mater violemment les protestations étudiantes.

Par ailleurs, il faut noter que le 29 avril précédent, à l’université d’État de l’Ohio, une grande manifestation contre la guerre avait eu lieu. 3000 manifestant-es avaient réussi à s’imposer face à la police d’État. C’était une défaite pour l’État et plus particulièrement pour le gouverneur Rhodes – celui-ci même va ainsi saisir l’occasion de la mobilisation de Kent State pour tenter de rétablir son autorité…

Le 2 mai, le ROTC (Corps d’entraînement des officiers de réserve), une caserne installée directement sur le campus de l’Université, est envahie par les étudiant-es qui tentent de l’occuper. Il s’agit d’un regroupement de programmes d’entraînement pour certains étudiants à l’Université, qui produit des officiers de commandement pour les forces armées américaines. La bâtiment prend feu. L’armée fait irruption dans la petite ville de Kent State et fait usage de la force de manière démesurée : gaz lacrymogènes, baïonnettes au canon, interpellations brutales. Les hélicos survolent la ville… La terreur policière s’installe.

Au matin du 3 mai, 800 gardes occupent le campus universitaire et 400 de plus sont postés en ville. Tou-tes les étudiant-es sont désigné-es comme suspect-es. Les chefs militaires font tourner les rumeurs abracadabrantesques sur l’armement des étudiants, considérées comme de dangereux communistes. Les soldats dissimulent même sous du scotch leur nom ou numéro d’identification sur leur uniformes… des similitudes inquiétantes avec le maintien de l’ordre à la française.

La ville est militarisée. Un couvre feu est instauré. Des étudiant-es seront blessé-es à coup de baïonnettes par des soldats armés jusqu’aux dents…

Le 4 mai, une manifestation pour protester contre l’occupation militaire de la ville et les exactions des soldats, s’organise sur le campus. La garde, armée de Fusils M1 Garand, est prête à tirer. Des grenades lacrymogènes sont d’abord envoyées pour tenter de disperser les quelques étudiant-es présent-es. On parle d’une cinquantaine de manifestant-es pacifiques, rassemblé-es à plus de 50 mètres des soldats en armes ! Une centaine d’autres observent la scène. La garde affirmera que 1000 étudiant-es les ont chargés et que «le ciel était noir de pierres lancées». Une version qui sera évidemment démentie…

Les soldats ouvrent le feu sur le petit groupe d’étudiant-es pacifistes. 67 coups de feu en 13 secondes.

Quatre personnes sont abattues sur le coup. On recense également neuf blessées graves avec des mutilations à vie. Ces personnes avaient entre 18 et 20 ans. La plupart des victimes ont été touchées de dos, et à plus de 100 mètres en moyenne… la légitime défense est donc strictement exclue.

Coté policier, la seule «victime» est un soldat de la garde sujet à un évanouissement dû à un accès de panique… la prise de conscience de son infâme barbarie certainement.

Une date de plus, parmi tant d’autres, qui nous rappelle que partout dans le monde la police et l’armée assassinent pour écraser toute contestation du pouvoir. Il est plus qu’urgent de désarmer ces milices barbares et de les abolir définitivement.

En mémoire des étudiant-es de Kent State, ni oubli, ni pardon.


À lire sur le sujet : le reportage en bande dessinée de Derf Backderf «Kent State, quatre morts dans l’Ohio».

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