À lire : Nûdem Durak, Sur la terre du Kurdistan, de Joseph Andras

« Nous sommes convaincus que nous gagnerons. Ce que nous voulons ? Vivre librement notre culture. On se bat pour ça. »

L’écrivain français Joseph Andras revient avec un nouveau récit de combat et poursuit, grâce à l’écriture, son engagement auprès du long cortège de vivants et de morts qui réclament justice. Nûdem Durak est le nom d’une chanteuse kurde, enfermée dans une prison de Turquie depuis 2015 alors qu’elle n’avait que 22 ans, et condamnée à dix-neuf années de prison pour « propagande terroriste ». En réalité, son seul crime est de chanter en langue kurde. Mais un dossier judiciaire totalement mensonger permet de la maintenir incarcérée jusqu’en 2034. Loin d’être une injustice exceptionnelle, l’emprisonnement de Nûdem Durak est une histoire parmi tant d’autres. Des personnes coupables d’être kurdes et de résister sur un territoire envahi par l’État turc qui tente de les anéantir pas tous les moyens (assimilation forcée, arrestations, attaques armées, assassinats).

C’est à partir d’un reportage de la journaliste Eylem Kaftan que Joseph Andras découvre, en 2019, l’histoire de Nûdem Durak. Elle y raconte la façon dont elle est persécutée par le gouvernement d’Erdogan qui a émis un mandat d’arrêt contre elle alors qu’elle s’apprête à enregistrer son premier album. L’auteur rédige un premier texte en mars 2019, dans le journal l’Humanité, et apporte sa contribution dans le vaste mouvement international qui s’est mis en place : Free Nûdem Durak. Puis il entame une correspondance avec la chanteuse et se rend au Kurdistan afin d’y rencontrer ses proches et son avocat : « Pourquoi Nûdem Durak ? » se demande l’auteur. « Peut-être convient-il de s’en tenir au premier mouvement de l’esprit, à ce qu’il a lui-même saisi dans l’instant sans le formuler aussi nettement : il ne connaîtrait plus la tranquillité ». Après quatre années de recherches et d’échanges, ce livre est une façon de porter un nouveau coup dans ce combat pour la liberté – à la manière de cette phrase de Pasolini, « je sais qu’en tapant toujours sur le même clou, on peut arriver à faire s’écrouler une maison » – mais aussi de ne pas réduire cet emprisonnement à une lutte individuelle.

Les prisonnier-es politiques kurdes se retrouvent enfermés par milliers en Turquie. Ce qui permet de justifier ces emprisonnements massifs ? Leur appartenance, ou soi-disant appartenance, ou soutien, au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) : un groupe qualifié de terroriste par la Turquie et par certains pays occidentaux (la France emprisonne également des militant-es kurdes et a vendu des armes à la Turquie pour des centaines de millions d’euros). Que le PKK soit un allié des forces kurdes syriennes dans la lutte contre Daech ne les freine pas pour autant, bien au contraire.

Joseph Andras évoque cette organisation officiellement créée en 1978 : « Rien qu’un fait : le PKK est né pour faire face aux politiques de terreur négationniste et exterminatrice de l’État turc. Autrement dit pour résister – un droit universel fondamental. Rien qu’un autre, de fait : les États pratiquent ordinairement, légalement, parlementairement une politique de terreur jamais nommée et encore moins dénoncée. »

Dans cette résistance, une révolution communaliste est à l’œuvre au Kurdistan, notamment au Rojava, menée par différentes organisations (entre autre le PYD, le PJAK, le PÇDK). Cette révolution aux ambitions écologiques, féministes, anticolonialistes et anticapitalistes, forme un horizon à la portée internationaliste, qu’il convient de soutenir ici et maintenant.

Ce livre à deux voix alterne entre le récit autobiographique de Nûdem Durak, rédigé en prison, et les réflexions de Joseph Andras qui décrit également ses rencontres et échanges avec des militant-es, mais aussi des proches de la chanteuse. Autant d’histoires singulières, et pourtant trop communes sur ce territoire, qui avivent notre colère contre la politique criminelle du gouvernement turc et de ses alliés. Le plus frappant dans ce texte reste le souffle chaud, l’amour et la combativité d’un peuple, infatigable et digne, en lutte pour la liberté face à un État résolument mortifère.

Nûdem Durak, Sur la terre du Kurdistan de Joseph Andras, éditions Ici-bas, 2023.