Liberté de la presse : Darmanin attaque un journal local


Oise Hebdo a publié un article sur le policier ayant tué Nahel, l’État veut l’interdire


Le 6 juillet, Oise Hebdo, journal local diffusé à 8000 exemplaires et basé à Compiègne, publie sur son site internet un article sur le policier qui a exécuté le jeune Nahel le 27 juin. Le journal dresse un portrait du tireur, évoquant son parcours professionnel et sa ville de résidence.

Oise Hebdo est ici dans un traitement tout à fait habituel de la presse locale. Le policier Florian Menesplier habite dans l’Oise, le journal traite de l’actualité de ce territoire. Cet agent a provoqué l’une des plus grandes vagues de révolte de la France contemporaine. Il est légitime pour un journaliste de s’intéresser à son profil. La vraie anomalie, c’est que les grands quotidiens et chaînes d’informations françaises ne l’aient pas fait, pour protéger le tireur, par autocensure, par complicité.

Le jour même, le ministère de l’Intérieur tente de faire retirer l’article en interpellant le journal. Les syndicats policiers, tout puissants, menacent Oise Hebdo. Et le soir même Gérald Darmanin annonce avoir saisi procureure de la République de l’Oise : «Malgré nos demandes de retrait de ce contenu irresponsable, [la publication] persiste».

Le directeur du journal explique qu’il n’a fait que son travail. D’ailleurs, le droit est de son côté, la loi de 1881 sur la liberté de la presse interdit seulement de diffuser l’identité de policiers dont les missions exigent l’anonymat, par exemple les unités anti-terroristes ou les agents secrets, ce qui n’est pas le cas d’un motard de la police nationale.

Darmanin s’attaque donc à la liberté de la presse pour couvrir l’auteur d’un homicide volontaire. L’esprit Charlie ne s’applique que pour taper sur les musulman-es ou pour faire parler des pétainistes à la télévision.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement intimide des journalistes ou que la police blesse et arrête des reporters de terrain. À présent, c’est un article qui est visé par une opération de censure au sommet de l’État. L’ensemble de la profession journalistique va-t-elle soutenir Oise Hebdo ? Cette opération d’intimidation contre la presse sera-t-elle dénoncée sur les plateaux télé ? On en doute.

Les grands médias n’hésitent pourtant jamais à divulguer le nom complet, la ville et les antécédents judiciaires des victimes de violences policières. Le cadavre de Nahel était encore chaud que BFM balançait déjà le casier judiciaire du défunt, qui s’est d’ailleurs révélé être totalement inventé. Nahel n’avait pas de casier judiciaire.

Il en est de même pour chaque personne victime de la police. Dans ces cas, ces divulgations ne dérangent pas le ministère de l’Intérieur. Pire, ce sont les autorités elles-mêmes qui font «fuiter» ces informations. Comme après la répression de Sainte-Soline : la police avait balancé aux médias que les deux hommes dans le coma étaient «fichés S» uniquement pour les salir et insinuer qu’ils avaient mérité des tirs de grenades.

Plus généralement, le moindre auteur de fait divers voit son identité divulguée dans la presse ou à la télévision, mais jamais quand il s’agit d’agents de l’État. Pourquoi ? Dans un régime dit démocratique, les policiers sont armés et payés pour agir au nom de la loi. Ils ont donc des comptes à rendre, plus que les citoyens ordinaires, et leur identité se doit en principe d’être publique.

Même aux États-Unis, l’identité de policiers impliqués dans des affaires sont connus et diffusés, par exemple celui de Derek Chauvin, qui avait étouffé George Floyd, dont la photo et l’adresse ont vite été révélés par les médias. Pourquoi, en France, les policiers ont-ils le droit d’être cagoulés, de ne porter aucun matricule, de voir leur identité cachée même quand ils commettent des crimes ? Darmanin voulait d’ailleurs interdire de filmer l’action de la police dans le cadre de la Loi de Sécurité Globale en 2021.

En principe, les citoyens lambdas ont le droit à la protection de leur vie privée, mais les forces de l’ordre doivent pouvoir être identifiées pour rendre des comptes. En France, c’est l’inverse. Quand la population est surveillée sous toutes les coutures, mais que l’identité des agents qui détiennent la violence au nom de l’État est systématiquement cachée, nous sommes dans un autre régime.


Sources :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/07/mort-de-nahel-m-le-policier-en-detention-pris-pour-cible-deux-enquetes-ouvertes_6181031_3224.html

https://www.oisehebdo.fr/2023/07/06/policier-tue-nahel-nanterre-florian-menesplier-bornel/

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Une réflexion au sujet de « Liberté de la presse : Darmanin attaque un journal local »

  1. Je suis étonné l Oise hebdo est un journal qui fait ses choux gras de fait divers (et d info local sur le club de bridge de trifouilli les oies ) en reprenant souvent les info de la préfecture /police, un peu si j ai bien comprit comme des journaux type presse Océan chez vous , et ce dire que darmanin s en prend a ce genre de torchon de prefecture est vraiment WTF

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