Procès des inculpés de Sainte-Soline à Niort : récit d’audience


Au tribunal : quand l’habit fait le moine


Ce jeudi 27 juillet s’est tenu le procès de quatre manifestants qui avaient participé au rassemblement à Sainte-Soline le 25 mars dernier. Nos reporters étaient sur place. Avant même d’avoir pénétré la salle d’audience, les militant-es qui étaient venu-es en soutien ont vu la couleur de ce qui allait se dérouler : l’endroit était quadrillé de CRS et de policiers en civil, des barrières tenaient à distance de l’entrée du tribunal le joyeux groupe de soutiens qui chantait et mangeait autour d’une cantine populaire.

Vers 13h, celles et ceux qui voulaient assister aux procès ont dû, tour à tour, montrer leurs papiers d’identité qui étaient photographiés par une policière sur son téléphone, avant de subir une palpation de tout le corps, de vider l’entièreté de leur sac et de leurs poches pour enfin passer un portique de sécurité.

Loïc S.

Le premier à comparaître est Loïc, en détention provisoire à 700 kilomètres de chez lui depuis son arrestation à la veille de la dissolution des Soulèvements de la Terre, le 20 juin dernier. On lui reproche la “participation à un groupement formé de manière temporaire en vue de commettre des dégradations de biens et matériels…” le recel d’une veste de la gendarmerie ainsi que la dégradation d’un véhicule de gendarmerie pour avoir inscrit ACAB et Mud Wizard, vêtu d’un costume de moine.

Dystopique, la base du dossier à charge est fondée sur l’usage de la reconnaissance faciale à partir d’une image du fameux moine trouvée sur un “site twitter” (dixit le président) et dont on distingue difficilement les yeux et la base du nez… Son avocate, Maître Chalot, soulève le fait que la reconnaissance faciale ne peut être utilisée qu’en cas de nécessité absolue et pour s’assurer de l’identité de quelqu’un, non pas pour justifier le début d’une enquête qui entraînera quatre perquisitions au domicile de L. afin de retrouver une tenue de moine franciscain et enfin son arrestation. Toutefois, ses demandes de nullité sont rejetées et nous apprenons par la suite la cybersurveillance déployée pour tâcher d’incriminer Loïc. Il y a donc cet usage de la reconnaissance faciale sur une image où le moine pose dans une forêt bien avant les événements de Sainte-Soline. Aussi, la police a intercepté les signaux de son téléphone sur les lieux le 25 mars afin de prouver sa présence à la manifestation interdite par la préfecture. Lors de cette même journée, son appareil se serait connecté à Facebook et Twitter avec l’emploi d’un VPN situé aux États-Unis. Finalement, dans certaines vidéos, on entendrait le moine parler et grâce à la reconnaissance vocale, un rapprochement avec L. aurait été établi.

Loïc, dans son box entouré de trois policiers, assiste à ces accusations d’un air calme, souriant de temps en temps à son amie et à ses parents. Il demande alors à faire une déclaration, sortant des feuilles d’une pochette, mais le président lui rétorque qu’il n’a pas à faire de déclaration d’ordre politique… et qu’il ne peut s’exprimer tant qu’on ne lui pose pas de questions.

Néanmoins, celui que l’on nomme partout le “poète maraîcher” n’entache pas sa réputation : au cours d’un long monologue émouvant, il mêle poésie et politique. Il raconte son arrestation et la disproportion des moyens antiterroristes déployés à son encontre, la dichotomie entre les hommes cagoulés et leurs armes à feu et lui, qui dormait auprès de sa petite amie dans sa “cabane au fond du jardin”. Puis, il défend le mode de maraîchage auquel il participe, plus juste, plus équitable que l’agriculture intensive qu’il combat. Il dénonce les armes des forces de l’ordre françaises exportées à l’étranger, qui tuent et mutilent là bas, aussi. Rare événement, les juges sont à leur tour jugés : “S’acharner à traquer, enfermer et juger les militants écolos sans s’acharner à traquer, enfermer et juger les policiers qui ont mis deux personnes dans le coma, fait de vous une justice partisane.” Il ajoute que contre l’impunité, “Le privilège de l’uniforme doit être aboli”. Enfin, à la question initiale “Êtes-vous le moine ?” , il répond “Tant que l’identité des policiers ayant presque tué S. et M. ne sera pas connue, vous ne saurez pas qui est le moine.”

Puis vint le tour de trois témoins présents le 25 mars : un membre de la Confédération Paysanne, une observatrice de la LDH et une personne âgée qui avait été blessée au cours de la manifestation. À ces trois individus, on leur a systématiquement demandé “Avez-vous vu LE moine ?” et “Est-ce que ça justifie la violence contre les forces de l’ordre ?”. C’est d’ailleurs ce qui résume ce procès, le retournement perpétuel de la réalité : on vous raconte les grenades explosives toutes les deux secondes suivies d’appels aux médics, mais ce qui importe c’est de se rendre compte des traumatismes subis par les policiers, qui ont une famille, des enfants…

Moment burlesque, afin d’essayer de prouver les supposées tendances violentes de Loïc., les juges affichent sur de grands écrans son profil Facebook où l’on peut lire “Le pouvoir n’est pas à conquérir mais à détruire”, le président lui demande alors si, lorsqu’il va dans ce genre de rassemblements, il y va pour DÉTRUIRE et si cette philosophie ne le pousse pas à s’en prendre aux policiers.

Finalement, c’est son passé et sa manière de s’exprimer qui condamnent Loïc, le pouvoir ne peut supporter de voir des gens si érudits et si sûrs d’eux s’en prendre directement aux institutions de la République. La procureure demande un an ferme avec un aménagement à domicile sous bracelet électronique pour qu’il puisse continuer à travailler au sein de ses deux emplois. La défense plaide : “Ce n’est pas un semeur de troubles mais un semeur de plantes, d’utopies.” Rien n’y fait, les juges prononcent la peine réclamée par la procureure.

Deuxième partie d’audience

Après plus de six heures de procès pour Loïc, viennent à la barre trois autres hommes que l’on décide de juger ensemble puisqu’accusés de faits similaires. La pression est redescendue et l’on sent les juges plus détendus face à des individus moins politiquement engagés.

Le premier est accusé de “participation à un groupement formé de manière temporaire en vue de commettre des dégradations de biens et matériels…”, on l’a retrouvé grâce à la reconnaissance faciale, mais on ne lui reproche aucune violence, juste le fait d’avoir été là, protégé par un masque à gaz et des lunettes de piscine… Le second, vivant sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, est accusé d’avoir posté sur son compte instagram où le suivent 70 personnes une photo de lui vêtu d’un costume de lapin rose et portant un gilet pare balle de la gendarmerie. Et le dernier, militaire, est lui aussi accusé de recel d’une veste de maintien de l’ordre 4S, on l’a reconnu sur une vidéo sur les réseaux sociaux la portant à la taille.

À nouveau la défense plaide l’irrégularité de la procédure quant à l’usage de la reconnaissance faciale pour des faits qui ne semblent pas présenter une nécessité absolue. La salle rit doucement lorsque l’on mentionne le lapin rose qui était uniquement venu faire la fête à Melle… Les juges sont interloqués face au militaire qui se trouvait avec des “individus de type black block” : qu’en pensait-il, lui, qu’on s’en prenne à ses collègues gendarmes ?

Le verdict tombe, le premier homme, pour avoir été dix-sept minutes sur le front, est condamné à trois mois de sursis probatoire, car il n’est pas bien inséré dans la vie active et a déjà été condamné pour une affaire de stupéfiants… Les deux autres obtiennent deux mois de sursis simple, sauf que le militaire, lui, n’en aura pas la mention sur son casier judiciaire, afin de pouvoir continuer son beau métier… À 23h30 le procès se conclut enfin, quatre personnes sont condamnées par la reconnaissance faciale, la justice française a encore de beaux jours devant elle !


Reportage dessiné : Ana Pich’

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