Victor Jara : chanteur chilien assassiné en 1973, ses tortionnaires condamnés 50 ans après


28 août 2023, la Cour suprême de Santiago, au Chili, rend son verdict : la condamnation définitive de 7 militaires qui avaient torturé et tué le chanteur Victor Jara, lors du coup d’État de Pinochet, en 1973. Il aura fallu attendre 50 ans. Pour comprendre cet événement et l’importance qu’il revêt au Chili, un peu d’histoire.


Fresque murale à la mémoire de Victor Jara

Santiago, 11 septembre 1973. Des milliers d’opposants de gauche, étudiants, syndicalistes, journalistes, ouvriers, sont enfermés dans un grand stade de la capitale du Chili. D’autres sont abattus sommairement dans la rue. La terreur s’installe dans le pays. Un général d’extrême droite, Augusto Pinochet, vient de renverser le gouvernement de gauche de Salvador Allende élu trois ans plus tôt, et a fait bombarder le palais présidentiel. Les chars d’assaut sont dans les rues.

Dans un contexte de guerre froide, ce coup d’État est soutenu par les États-Unis, qui veulent faire tomber un gouvernement socialiste, qui compte notamment reprendre les richesses minières, alors aux mains de multinationales privées, ou supprimer les grands domaines fonciers qui affament les paysans. Les USA vont faire du Chili un exemple pour toute l’Amérique Latine.

Le président de gauche s’est suicidé. Le pouvoir est aux mains des militaires. Leur priorité est d’éliminer au plus vite les opposants et de liquider toute contestation. Des milliers de militants de gauche sont enfermés dans le Stade National de Santiago, gardé par des soldats.

Comme beaucoup d’autres, Victor Jara, est enlevé dans la rue alors qu’il se rend à l’université où il donne des cours. Mais lui est un chanteur très connu, adoré par les chiliens. Victor Jara, c’est une super-star de l’époque, écouté dans tout le pays et à l’étranger, un chanteur engagé, qui mixe la chanson populaire, les rythmes autochtones de communautés Mapuches auprès desquels il est allé vivre, les paroles militantes… Jara a composé des chants pour «l’Unité Populaire», la coalition de gauche qui a remporté les élections. Il avait déjà subi des campagnes diffamatoires terribles de la part de la presse de droite, et des menaces.

En septembre 1973, l’artiste est emmené jusqu’au Stade National de Santiago du Chili, avec les autres prisonniers. Comme il est guitariste, l’histoire retient qu’un militaire a mutilé la main de l’artiste devant les milliers de prisonniers, épouvantés, face au chanteur tordu de douleur. Il se serait alors levé, la main ensanglanté, pour chanter l’hymne de «l’Unité populaire». Il sera retrouvé criblé de balles. Selon l’un des tortionnaires, un gradé de l’armée aurait joué à la roulette russe avec le chanteur gravement blessé, provoquant sa mort d’une balle dans la tête.

Avec Jara, le régime de Pinochet va torturer, tuer et faire disparaître des milliers d’opposants, et ira jusqu’à jeter certains prisonniers depuis des hélicoptères au-dessus de l’océan. Des «experts» français en contre-insurrection ont conseillé le régime Chilien pour organiser la répression sur le modèle de la guerre d’Algérie.

Pinochet incarnera une dictature néolibérale : il organise un choc politique pour mener une politique Appuyé par des économistes formés aux États-Unis, les «Chicago Boys», il applique un capitalisme débridé : privatisations généralisées, dérégulation, baisse des salaires …

Près de 50 ans plus tard, sept anciens soldats sont donc jugés coupables de l’assassinat de Victor Jara, après une longue procédure. Ce sont des militaires à la retraite, qui ont mené une confortable carrière, et sont aujourd’hui âgés de 73 ans à 85 ans. Ils purgeront des peines de huit à vingt-cinq années de détention et doivent entrer en prison. Trois autres accusés sont morts avant la fin de la procédure, et le dernier, celui qui a logé une balle dans la tête du chanteur, est réfugié aux Etats-Unis. Le Chili demande son extradition. Il est connu pour avoir été un tortionnaire particulièrement terrible, surnommé «le Prince». Il avait fuit à la fin de la dictature.

Cette condamnation, symbolique, illustre les démons qui hantent encore l’Amérique Latine. Une partie de la droite chilienne se revendique encore de l’héritage de Pinochet. Le mal fait par la dictature soutenue par l’Occident est irréparable. Et l’immense majorité des militaires criminels durant la dictature n’a jamais été condamné. L’une des chansons les plus célèbres de Victor Jara s’intitulait «El derecho de vivir en pas», «Le droit de vivre en paix».

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