«Appel, et autres textes suivis d’effets», anonymes, présentés par Julien Coupat, éditions Divergences
Parmi les livres attendus de cette rentrée, cette édition présentée par Julien Coupat, dont le nom reste lié à la machination policière de l’affaire Tarnac, chez Divergences, d’un texte fondateur écrit il y a 20 ans et qui était devenu quasiment introuvable. «Appel» avait, à l’époque, été diffusé clandestinement à quelques milliers d’exemplaires, entraînant avec lui un engouement durable. Dans le même temps, certains milieux militants s’étaient imaginé partir en croisade contre ce qu’ils nommèrent «l’appelisme» – aujourd’hui encore, au détour d’une rue il peut arriver de tomber sur un tag hostile aux «appelistes» sans savoir exactement s’il provient d’une minorité gauchiste, de flics ou de fascistes. Il faut reconnaître que l’influence de cet «Appel» a pris de l’ampleur au fil des ans, suivi dans son sillage par le succès d’un autre texte d’importance, «L’insurrection qui vient». Malgré cette influence, nombreux sont celles et ceux qui n’ont jamais vraiment lu l’Appel. Désormais, vous pouvez le trouver en librairie.
L’Appel est un texte qui n’admet aucun compromis sans forcément chercher à convaincre, et c’est là que se trouve sa nécessité : une façon de remuer pour faire résonner nos sens et nous sortir d’une mollesse voire d’une certaine léthargie – se définir comme militant-e n’assure en rien d’être éveillé-e. Ce court texte nous donne surtout des clefs pour attaquer et déserter le monde qui nous fait horreur, et trouver des stratégies afin d’emprunter d’autres voies.
D’entrée de jeu, le ton est donné : «Rien ne manque au triomphe de la civilisation. Ni la terreur politique ni la misère affective. Ni la stérilité universelle. Le désert ne peut plus croître : il est partout. Mais il peut encore s’approfondir. Devant l’évidence de la catastrophe, il y a ceux qui s’indignent et ceux qui prennent acte, ceux qui dénoncent et ceux qui s’organisent. Nous sommes du côté de ceux qui s’organisent.» Et à lire la suite, nous faisons face à une évidence, celle de son actualité. Tout y était déjà annoncé, en substance, il y a 20 ans.
Le désert s’est approfondi, comme en témoigne entre autre l’expansion des technologies de contrôle, et avec elle «le triomphe du libéralisme existentiel. Le fait que l’on admette désormais comme naturel un rapport au monde fondé sur l’idée que chacun a sa vie. Que celle-ci consiste en une série de choix, bons ou mauvais. Que chacun se définit par un ensemble de qualités, de propriétés, qui font de lui, par leur pondération variable, un être unique et irremplaçable. Que le contrat résume adéquatement l’engagement des êtres les uns envers les autres, et donc le respect, toute vertu. Que le langage n’est qu’un moyen de s’entendre. Que chacun est un moi-je parmi les autres moi-je. Que le monde est en réalité composé, d’un côté, de choses à gérer et de l’autre un océan de moi-je. Qui ont d’ailleurs eux-mêmes une fâcheuse tendance à se changer en choses, à force de se laisser gérer.»
Force est de constater qu’il y a eu de nombreuses impasses dans les différents mouvements de ces dernières années. Pourtant les conditions d’un bouleversement existent : parmi les gilets jaunes, les ZAD, les personnes qui désertent leur travail, l’onde de révolte des banlieues ou encore la jeunesse qui bloque les lycées et s’élève contre les violences policières. «Partout des alliances sont possibles. La perspective de briser les circuits capitalistes exige, pour devenir effective, que les sécessions se multiplient, et qu’elles s’agrègent.» Il y a donc bel et bien un impératif à refaire circuler un texte d’une telle portée et à y confronter les nouvelles générations.
Cette première édition de l’Appel est accompagnée d’une sélection d’autres textes qui l’entourent, rédigés entre 2002 et 2004 à l’occasion d’événements divers : le World Economic Forum à New York, un sommet de l’Union Européenne à Barcelone, ou encore Lille2004 qui fait l’objet d’une réflexion passionnante sur l’utilisation de la culture comme arme de l’offensive capitaliste. Plus que jamais d’actualité.