28 octobre 2023. Israël lance une opération terrestre, coupe l’électricité à Gaza et intensifie les bombardements. Cela fait pourtant trois semaines que 229 otages sont retenus sur le territoire assiégé et que les familles israéliennes se mobilisent pour leur retour. L’opération paraît donc mettre en extrême danger les otages. Ce 28 octobre, leurs familles témoignent de leur «anxiété, [la] frustration et surtout une énorme colère qu’aucun membre du cabinet de guerre n’ait pris la peine de rencontrer les familles».
Les familles d’otages déclaraient déjà, le 26 octobre à Tel-Aviv, qu’elles étaient arrivées «au bout de leur patience» et ont exigé d’être reçues par le gouvernement dans la soirée. «Fini la patience, désormais nous allons nous battre». «Nous exigeons que le cabinet [de guerre] nous parle. […] Depuis vingt jours, le gouvernement est muet, nous faisons tout nous-mêmes». Le gouvernement fasciste méprise les familles et, en ne faisant aucune concession, ne crée aucune possibilité de libération.
Des vies secondaires
Les médias occidentaux parlent quotidiennement de ces otages israéliens comme une preuve de la barbarie absolue du Hamas, et estiment que leur libération seraient l’objectif des bombardements et attaques de Gaza. Une façon de justifier le massacre en cours. La vérité, c’est que le gouvernement israélien ne considère pas leurs vies comme une variable importante. C’est pourquoi l’armée israélienne pilonne Gaza sans relâche, tuant sans distinction, y compris pour détruire les fameux tunnels où se trouvent probablement ces otages. La branche militaire du Hamas estimait que «près de cinquante» otages israéliens avait déjà été tués par des frappes israéliennes.
Interrogé sur cette question, le Colonel Olivier Rafowicz expliquait sur BFM : «l’opération continue comme s’il n’y avait pas d’otages». «Mais allez vous tenter d’aller les récupérer ?» demande la journaliste interloquée. «Je préfère ne pas répondre à cette question» dit le militaire. «Est ce que la population israélienne doit se préparer au sacrifice de ces otages ?», «Je préfère ne pas répondre à cette question non plus». L’officier semble n’avoir aucun compte à rendre.
Ce colonel ne le cache pas, les otages sont secondaires, ils passent après la soif de vengeance de l’extrême droite israélienne. C’est le même homme qui déclarait, après le bombardement d’une ambulance à Gaza, tuant des dizaines de civils : «Il s’agit d’une ambulance utilisée pour transporter des terroristes», ce qui donne une idée de son respect de la vie humaine.
Prises d’otages réciproques
Aussi immorale que soit cette pratique, la prise d’otage est une tactique courante de guérilla face à un ennemi beaucoup plus puissant. Ramener des israéliens était la seule possibilité pour le Hamas d’espérer éviter un bombardement total de Gaza et d’envisager un échange de prisonniers. Cela n’a pas du tout marché.
Car les otages ne sont pas que d’un côté, il y a des captures réciproques. On ne peut comprendre cette pratique sans parler des milliers de prisonniers palestiniens gardés par Israël. Entre 5.000 et 10.000 palestiniens sont détenus en Israël et en Cisjordanie occupée. Parmis eux, des centaines d’enfants sont emprisonnés, parfois enfermés de façon «administrative», c’est-à-dire sans même avoir eu droit à un procès. Comment appeler cela autrement que des otages ?
En 2015, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) évaluait à 850.000 le nombre de palestiniens ayant été plus ou moins longtemps détenus par les forces israéliennes depuis 1967. Ce chiffre représente presque un quart de la population de la Palestine occupée. Ces prises d’otage de masse ont lieu depuis des décennies et l’échange de prisonniers est le seul moyen de les libérer.
En 2006, le soldat israélien Gilad Shalit est capturé par des palestiniens. Il reste jusqu’en 2011 sain et sauf à Gaza : le Hamas réclame la libération de prisonniers en échange. Après des années de négociation, 1027 prisonniers palestiniens sont finalement libérés. Mais cela n’a pas plu du tout au gouvernement israélien, et a renforcé l’idée qu’il vaut mieux sacrifier des captifs plutôt que de les laisser tomber aux mains de l’ennemi.
Hannibal
«Nous devons être cruels maintenant et ne pas trop penser aux otages [à Gaza]. Il est temps d’agir» a dit le ministre des finances, Bezalel Smotrich, après le 7 octobre.
Au sein de l’armée israélienne, il existe une consigne appelée «Directive Hannibal», visant à empêcher par tous les moyens la capture de soldats, y compris en sacrifiant la vie des personnes captives. Elle est utilisée depuis les années 1980 au sein de Tsahal.
Le militaire Yossi Peled, qui a été par la suite ministre de Netanyahou, expliquait qu’en cas de capture de ses hommes, ils tireraient sans hésiter sur les ravisseurs et les otages : «je ne lâcherais pas une bombe d’une tonne sur le véhicule, mais je tirerais dessus avec un obus de tank» et expliquait qu’il «préférerait être tué [par des soldats israéliens] que de tomber entre les mains du Hezbollah». Avant la guerre de Gaza en 2008-2009, le lieutenant-colonel Shuki Ribak, affirmait qu’aucun soldat ne serait enlevé. «À n’importe quel prix. Dans n’importe quelle condition. Même si cela signifie qu’il se fait exploser avec sa propre grenade avec ceux qui essaient de le capturer».
Yasmin Porat, 44 ans et mère de trois enfants, s’est retrouvée au milieu des tirs entre le Hamas et l’armée israélienne le 7 octobre. Prise en otage dans un kibboutz, elle a été utilisée comme bouclier humain par un assaillant qui voulait se rendre aux soldats israéliens, et a donc été sauvée. Mais elle raconte dans l’émission de radio israélienne «This Morning Show», animée par le journaliste Aryeh Golan, la manière dont s’est déroulée l’opération.
Elle a d’abord été retenue pendant plusieurs heures et traitée «humainement». «Ils nous donnaient à boire ici et là. Quand ils voyaient que nous étions nerveux, ils nous calmaient. C’était très effrayant, mais personne ne nous a violemment traité». Elle raconte que l’armée israélienne aurait attaqué par surprise le bâtiment où elle était retenue avec d’autres et que des otages israéliens auraient été «tués par les tirs croisés très nourris» et des tirs d’obus de char sur la maison. Lorsque le journaliste lui demande : «il est donc possible que nos forces aient tiré sur eux ?» elle répond : «Sans aucun doute», avant d’ajouter : «Ils ont éliminé tout le monde, y compris les otages».
Gênants ?
Pire, une libération pourrait être gênante pour le gouvernement. C’est que les otages sont encombrants à la fois pour l’opération militaire, mais aussi pour le narratif de l’armée qui ne veut rien négocier.
Yocheved Lifshitz, 85 ans, a été enlevée le 7 octobre puis rendue à la Croix-Rouge par le Hamas le 24 octobre. Une vidéo avait troublé l’opinion, car la dame avait salué ses ravisseurs en partant. Elle racontait après sa sortie : «Lorsque nous sommes arrivés [à Gaza], ils nous ont dit qu’ils croyaient au Coran, qu’ils ne nous feraient pas de mal et que nous vivrions dans les mêmes conditions de vie qu’eux dans les tunnels». «Nous leur avons dit : “Pas de politique”. Ils ont parlé de toutes sortes de choses et ont été très amicaux avec nous». L’otage dit avoir été nourrie, avoir eu accès à des produits d’hygiène et un médecin. Ce qui confirme que l’objectif reste de maintenir en vie ces captifs pour avoir la possibilité de négocier. Soyons clairs, cela n’enlève rien à l’extrême violence du Hamas, ni à ses crimes, ni à ses idées totalitaires.
La «première et dernière priorité» est de détruire le Hamas «même si cela prend un an» a rappelé Nir Barkat, ministre de l’économie israélien. En pilonnant aveuglément Gaza et en menant une guerre à outrance, le gouvernement israélien montre qu’il se moque de la vie de ses concitoyens. Les propos du colonel Olivier Rafowicz à la télévision française le confirment. Les otages sont sacrifiables, voire même gênants pour la guerre totale souhaitée par le gouvernement israélien comme pour son narratif. Les familles dénoncent cette stratégie cynique de plus en plus clairement.
Cela fait partie de la guerre, diront certains. Pourtant, en 2004, des terroristes tchétchènes prenaient en otage une école à Beslan en Russie. Poutine déclenchait alors une opération ultra violente, il y avait 334 civils tués dont un tiers d’enfants. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Russie pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin d’éviter le massacre, en soulignant que «l’intervention des forces russes a contribué à causer des victimes parmi les otages». L’affaire avait horrifié le monde.