Discussion avec Loïc, poète libertaire pourchassé par la justice, et Manon sa compagne militante


Après l’audience en appel de Loïc au tribunal de Poitiers suite à la manifestation de Sainte-Soline, nous avons pu le rencontrer avec sa compagne Manon pour leur poser quelques questions.


Loïc contestait lundi 17 novembre sa condamnation à un an de prison ferme aménagée par le port d’un bracelet électronique. Il était poursuivi pour recel d’un gilet de gendarmerie, l’inscription d’un tag ACAB sur un camion de gendarmes ainsi que la participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, lors de la manifestation du 25 mars dernier à Sainte-Soline – le reportage dessiné du procès est sur notre site et sur le compte d’Ana Pich.

CA : Merci de prendre le temps de répondre à nos questions, pour commencer comment allez-vous suite à ces mois de privation de liberté et, plus directement, ce procès ?

Loïc : Personnellement ça va, ce ne sont pas ces procès qui entravent ma détermination à lutter. Ça me donne même encore plus envie de m’engager ! Lors du procès on m’a demandé comment je pouvais continuer à manifester alors que j’étais déjà sous le coup de 15 mois de prison avec sursis – mais ça n’est pas la peine, aussi élevée soit-elle, qui va me faire rentrer dans le rang ou changer mes opinions : c’est dans le débat, dans la discussion, avec des faits concrets. Alors forcément c’est un peu dur de le faire entendre à des juges car c’est perçu comme une position provocante.

Et oui ça nous prend beaucoup d’énergie à tous les deux, c’est une source de stress, d’angoisse mais il y a aussi une force à pouvoir s’exprimer devant un tribunal, endroit où l’on essaie au maximum d’étouffer la voix dissidente.

CA : Comment est-ce que tu dépasses cette tentative d’étouffement ?

Loïc : Il ne faut pas se laisser cadenasser dans leur récit et parler des choses choquantes de l’autre côté aussi. La procureur, en représentante de l’État, tente de contrôler la narration en parlant uniquement des gendarmes blessés sans avoir aucun mot pour ceux du côté des manifestants, pourtant plus nombreux et avec des degrés de gravité bien plus importants.

CA : Quelles sont les voies pour contre-carrer cette tentative médiatique et politique de criminaliser les mouvements écologistes ?

Loïc : Il faut ouvrir tous les espaces permettant de faire naître le débat ou de le perpétuer. Le tribunal est un de ces fronts, même s’il ne faut pas l’idéaliser car il est limité et dangereux. Mais plus on discutera en dehors de nos cercles militants, plus on sortira de nos habitudes, plus on touchera du monde pour faire entendre notre voix.

CA : Avez-vous des pistes à partager pour se faire entendre plus largement du grand public ?

Manon : Il y a certainement mille manières de rayonner par-delà les cercles militants, mais la première qui me vient à l’esprit et l’une des plus fondamentales à mes yeux, consiste en une posture intérieure, une posture d’humilité. En un rapport à l’autre, à l’altérité et à notre manière de l’aborder. Non pas comme un être à convaincre mais comme un lien à tisser au travers duquel chacun pourra nourrir, affiner sa pensée et, par ce partage du singulier, entrevoir au fond une forme d’universalité.

Les Gilets Jaunes en ont été une éclatante preuve ! C’est sur l’humus du lien, de l’expérience partagée que naît le politique dans toute sa noblesse et ses corollaires que sont le désir et l’action. Cette mécanique a d’autant plus de sens et est d’autant plus nécessaire à l’aube de la bascule politique systémique qui se profile. Une reconfiguration de surface ne sera pas suffisante pour faire face aux brusque changements, en premier lieu écologiques, qui nous attendent.

C’est parce qu’ils étaient si divers que les Gilets Jaunes ont pu tendre vers ce constat fondamental, et en conséquence ce désir massivement partagé d’avoir prise sur le réel, d’influencer le cours des choses et d’arriver à la conclusion que si les structures politiques de ce pays ne nous le permettent pas : alors il faut la révolution. Ne reste plus qu’à définir la méthode, et saisir l’étincelle.

CA : Pour revenir au procès, Loïc quel est ton ressenti à l’issue de l’audience, es-tu confiant quant à la demande de relaxe de tes avocats ?

Loïc : Je pense que c’est possible d’avoir une peine moins lourde, ça serait dans la continuité du Conseil d’État qui a débouté la dissolution des Soulèvements de la Terre. Mais ça m’a surpris que la procureure demande au contraire une peine plus sévère [ndlr : une révocation des sursis précédents], ça traduit une forme d’offensive de la part de l’État. Et cela m’inquiète pour l’avenir notamment quant au procès intenté par Gérald Darmanin qui aura lieu le 1er décembre prochain [un procès pour avoir diffusé une chanson contre le ministre de l’Intérieur], il y a une forme d’acharnement qui s’opère !

CA : Comment expliquer cette intensification de la répression policière et judiciaire des mouvements écologistes et sociaux ?

Loïc : C’est le déploiement d’une philosophie venant à étouffer la contestation par la répression et c’est un choix assumé par le gouvernement. Il faut en prendre acte et revoir nos stratégies : historiquement les manifestations permettaient, par le nombre, d’être entendues, mais aujourd’hui l’État n’en a plus rien à faire, il tient ses positions. C’est dans la confrontation qu’on peut faire bouger les lignes, comme à Sainte-Soline, qui mène à l’annulation de 15 projets de méga-bassines. Il y a un nouvel équilibre à trouver pour maintenir le rapport de force et nous devons être plus efficaces, mener plus d’actions concrètes pour reprendre la main ainsi que de trouver comment mieux diffuser nos idées dans une époque qui cadenasse les récits.

CA : Depuis le 27 juillet dernier, tu purges une peine d’emprisonnement sous surveillance électronique, qu’est-ce que cette sanction représente pour toi ?

Loïc : Pour moi le bracelet il invisibilise la peine, contrairement au placement en détention qui fait beaucoup plus réagir, qui mène à l’indignation. Le bracelet c’est une forme de banalisation de la peine, une manière fourbe de faire perdurer le contrôle sur les corps.

Plus directement ça implique un isolement important et j’étais contre à la base, c’est en en discutant que j’ai changé d’avis. Aujourd’hui on habite chez mes parents, donc d’un côté j’ai toujours le lien avec ma famille, mais de l’autre on manque d’un espace qui serait le nôtre avec Manon… Enfin c’est sûr que ça reste mieux d’être dehors que dedans, c’est important pour nous de pouvoir être ensemble !


Les prochaines dates pour soutenir Loïc :

➡️ 01/12 : Procès au TGI de Nancy suite à une plainte de Darmanin pour diffamation

➡️ 04/12 : Rendu de la décision par le tribunal de Poitiers

La cagnotte de soutien pour couvrir les frais de justice de Loïc

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