Viol à coups de matraque : les policiers jugés


Près de 7 ans après les faits, le procès des policiers qui ont gravement mutilé Théo Luhaka à Aulnay-sous-Bois, se tient à la Cour d’Assises de Bobigny jusqu’au 19 janvier


Le 2 février 2017, le jeune Théo était victime de la violence sans limite de trois agents de la brigade spécialisée de terrain (BST) qui l’ont gazé, roué de coups, jusqu’à le mutiler au niveau de l’anus par un coup d’estoc avec la pointe d’un «bâton télescopique de défense» – une matraque en métal équipée d’un grip antidérapant – provoquant une rupture du sphincter anal. Des actes de torture qui ont causé des séquelles irréversibles sur le jeune homme. Tout cela pour quoi ? Un contrôle d’identité abusif, le jeune homme ne présentait aucune dangerosité comme le démontre la vidéo de la scène. Au sol, les coups ont continué de pleuvoir, puis encore dans le véhicule suite à son interpellation alors qu’il se vidait de son sang. Les agents ont aussi gazé des témoins et envoyé des grenades de désencerclement pour les éloigner et masquer leur crime.

Dans la voiture, la situation fait marrer les policier : l’un d’eux prend le jeune mutilé en photo : «Ça mérite un snap». Un agent lui met une gifle avant d’essuyer le sang de son visage avec son tee-shirt, tandis qu’un autre remarque : «Tu as raison, il saigne du fion». Il faudra que Théo perde connaissance au commissariat pour qu’il soit finalement transféré et opéré d’urgence à l’hôpital.

Au commissariat, les policiers assermentés rédigent de fausses déclarations sur leurs actes. Ils écrivent avoir fait feu sur un homme qui jetait des projectiles. Un agent indique avoir jeté deux grenades de désencerclement pour disperser une foule d’une trentaine de personnes menaçantes, faits totalement contredits par la vidéosurveillance. Une semaine avant ces faits, un autre jeune du même quartier avait été tabassé par les mêmes agents sans motif. Une bande mafieuse.

À l’époque, les médias avaient largement maquillé l’affaire, justifié l’injustifiable, repris les éléments de langage des autorités… Alors même que des images attestaient de tout le déroulé.

Le procès commençait ce mardi 9 janvier 2024 pour dix jours à la Cour d’Assises de Seine-Saint-Denis. Une juridiction criminelle donc, qui vise à juger les crimes plus plus graves.

La justice a aujourd’hui fait le choix de qualifier ces faits de «violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente», une infraction qui fait encourir la peine de 15 ans de réclusion criminelle. La qualification de «viol» avait pourtant été retenue initialement, mais abandonnée pendant l’instruction, sous prétexte que sa plaie a été provoquée «en bordure de l’anus et non directement par pénétration dans l’anus». Et si ce coup «a bien été porté volontairement», la zone atteinte l’a été involontairement : «Marc-Antoine Castelain n’avait aucunement la possibilité de viser la marge anale de Théodore Luhaka». Pas de pénétration, pas d’intentionnalité : «la qualification de viol ne peut être retenue» explique Le Monde. Il s’agit pourtant non seulement d’un viol en réunion, mais aussi d’actes de torture et de barbarie, parmi les crimes les plus graves du Code Pénal.

La démonstration est assez bancale, les faits auraient au moins pu être qualifiés de «tentative de viol». La tentative, en droit pénal, est en effet caractérisée par un commencement d’exécution de l’infraction, qui a manqué son effet par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur (article 121-5 Code pénal).

Si l’agent de police avait donc l’intention d’infliger une pénétration par violence sur Théo Luhaka mais que celui-ci n’a pas atteint sa cible initiale, l’infraction de tentative de viol reste constituée. Et la tentative, en droit français, (article 121-4 Code pénal) est punissable de la même peine que l’infraction manquée, c’est-à-dire une peine de 20 ans de réclusion criminelle pour l’infraction de viol, aggravé de pas moins de quatre circonstances aggravantes (article 222-24 Code pénal) : «1° lorsqu’il a entraîné une mutilation permanente» 5° Lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ; 6° Lorsqu’il est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ; 7° Lorsqu’il est commis avec usage ou menace d’une arme».

Le choix de cette qualification pénale n’est donc pas anodin. La peine encourue pour des faits de violences aggravées est moins élevée que pour celle de viol aggravé. Ce premier choix est déjà politique.

Mais au delà de ces questionnements juridiques qui tentent de minimiser les faits, il n’en reste pas moins qu’une mutilation particulièrement grave et permanente a été commise, sans aucun motif légitime. Seul le besoin d’humilier, de marquer les corps à vie, de les briser et, par dessus tout, de les faire taire. Le viol est une arme de guerre, ne l’oublions pas. Cette affaire est le reflet de la violence quotidienne de la police, de son racisme assumé. D’ailleurs, l’avocat des policiers n’est autre que Thibault de Montbrial, avocat d’extrême droite habitué du plateau de Cnews.

Les débats sont en cours depuis maintenant 4 jours, sur la question de la légitimité ou non de cet acte barbare. Le policier déclarant même que le coup était «réglementaire et légitime». L’IGPN quant à elle, se contredit elle-même. Une commandante de l’IGPN déclare que cet acte était «tout à fait légitime», tout en affirmant juste après à la question de l’avocat général que la victime «ne représentait pas un danger». L’IGPN affirme à la barre, en dépit de toute réalité factuelle, que le coup de matraque métallique visait «une zone musculaire». Une mauvaise foi affligeante, qui constitue ni plus ni moins qu’une complicité.

Mais la partie civile n’est pas dupe : «Que tous les policiers sont d’accord avec les autres policiers, on l’aura compris» déclare l’avocat de Théo. Oui, on demande à des policiers de donner leur avis sur la légitimité des actes de leurs propres collègues, devant un tribunal où le représentant du ministère public est-lui même responsable des officiers de police judiciaire et est placé sous les ordres du Ministère de la Justice. Une belle famille prête à se soutenir en toute occasion donc. À l’occasion, on apprend également que le policier Marc-Antoine Castelain n’a reçu qu’un blâme de sa hiérarchie depuis l’affaire, alors que la sanction proposée était la radiation.

Un autre commissaire de l’IGPN conclut tout de même à la barre à «un usage disproportionné de la force par M. Castelain». Ce dernier «justifie ce coup parce que [son collègue] Jérémie Dulin était piétiné par Théodore Luhaka. Sauf que sur les images, on ne voit pas, au moment où est porté ce coup, que M. Luhaka piétine M. Dulin. Rien ne justifiait ce coup, la justification qu’il nous en a donnée n’était pas bonne».

La version de l’IGPN se scinde ainsi en deux, en espérant que les jurés populaires sauront reconnaître qu’une telle barbarie ne peut être ni légitime ni réglementaire. La décision qui leur reviendra est capitale.

Quelle que soit la décision, rendue 7 ans après les faits, rien ne rendra justice à Théo, handicapé à vie, ni aux nombreuses personnes brisées par la police. On n’oubliera pas, on ne pardonnera pas.


Tout notre soutien va à Théo et à ses proches, dans l’épreuve de ce procès


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