«Elle est feuj», «c’est pour ne pas avoir chaud»… Mediapart a publié le 5 février 2024 des vidéos accablantes, montrant des policiers humilier une femme de 67 ans, juive orthodoxe, privée de sa perruque après avoir été arrêtée pour refus d’obtempérer à Créteil. Dans certaines traditions du judaïsme, les femmes cachent leurs cheveux avec une perruque. L’attitude violente et méprisante des policiers avec cette dame d’âge mur est l’équivalent d’un arrachage de voile. Gérald Darmanin n’a pas réagi à ces révélations.
Le Ministre de l’Intérieur avait pourtant osé déclarer le 17 octobre dernier : «La haine du juif et la haine du flic se rejoignent», lors d’une visite à la communauté juive. Ces propos étaient à la fois faux, révisionnistes et antisémites. Car l’antisémitisme et la police française, c’est une vieille histoire.
La police telle qu’elle existe a littéralement été fondée par un gouvernement dictatorial et antisémite. Le 14 août 1941, la Police Nationale naissait sous le Régime de Vichy, par décret du Maréchal Pétain. Le 19 avril 1942, c’est le collaborationniste et antisémite forcené René Bousquet qui est nommé secrétaire général de la police.
Les 16 et 17 juillet 1942, des milliers de policiers français raflent plus de 13.000 juifs, hommes, femmes et enfants, pour les charger dans des trains en direction des camps de la mort, pour faire plaisir aux Nazis. Moins d’une centaine d’adultes en reviendront et aucun enfant. Sous l’Occupation, ils traquent et torturent aussi les résistants, les tziganes et autres indésirables.
À la Libération, les complicités génocidaires de la police française ne seront jamais sanctionnées, l’organigramme de la police ne sera pas modifié jusqu’à aujourd’hui, et de hauts responsables de la police ayant collaboré avec les nazis resteront même à la tête de l’institution. Notamment Maurice Papon, qui se rendra responsable de massacres d’Algérien-nes à Paris en 1961.
Encore aujourd’hui, la grande majorité des policiers votent pour des partis d’extrême droite, RN ou Reconquête, issus de courants antisémites et faisant pour certains l’apologie du pétainisme. L’antisémitisme est un racisme historiquement spécifique en Europe, mais il s’inscrit dans un continuum. Par exemple, la théorie complotiste du «grand remplacement» vise parfois les juifs et juives, qui sont considérées par certains courants fascistes comme les responsables occultes d’une immigration qui viserait à «remplacer» une prétendue «race blanche». En Mai 2023, Libération révélait l’existence d’un policier de la BRAV ouvertement néo-nazi et publiant régulièrement du contenu haineux et des apologies de crimes. Les antisémites sont comme des poissons dans l’eau dans la police.
En assimilant la communauté juive de France à la police, Darmanin met en danger les juif-ves. Les citoyen-nes juif-ves ne sont en rien assimilables aux violences policières et ne doivent pas être rendu-es responsables de la répression qui révolte de plus en plus d’habitant-es de ce pays. Cette phrase est antisémite dans la mesure où elle relativise ce qu’est l’antisémitisme. Une idéologie de haine qui a engendré des persécutions et des génocides. Rien à voir avec le fait de ne pas aimer l’uniforme ou d’affronter des policiers lourdement armés en manifestations. Rien à voir, non plus, avec le fait de condamner le gouvernement d’extrême droite israélien, qui commet actuellement un génocide.
Prenons l’exemple de Maurice Rajsfus. Ce militant était un rescapé de la Shoah, sa famille a été arrêtée et déportée par des policiers français lors de la rafle du Vel-d’Hiv. Il avait alors 14 ans, ses parents ne reviendront jamais. Toute sa vie, il expliquera son contentieux avec la police : «Les policiers français ont volé des années de vie à mes parents. Tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n’a démissionné. Si la police française ne s’était pas mise aux ordres, jamais il n’y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 250.000 déportés de France, dont 76.000 juifs, les autres étant, pour l’essentiel, des communistes et des gaullistes…»
Il ne pardonnera jamais à la police sa collaboration. Ni ses violences passées et présentes. Autodidacte, il devient historien des violences policières, qu’il recense à partir de 1968, et ce pendant près de cinquante ans, notamment au travers du bulletin «Que fait la police ?».
Jusqu’à son dernier souffle, Maurice Rajsfus a soutenu les familles de victimes des violences d’État et combattu le racisme sous toutes ses formes. Il était aussi un virulent adversaire du sionisme et du colonialisme en général. Décédé en 2020, il laisse derrière lui plusieurs décennies de travail d’archive et plusieurs livres.
Si ce grand homme était encore parmi nous, il serait estomaqué de la déclaration de Darmanin. Mais malheureusement pas surpris par l’interpellation violente et antisémite d’une femme par la police française.
Une réflexion au sujet de « Police et antisémitisme : une vieille histoire »