Nous sommes le vendredi 3 mai et c’est la « journée mondiale de la liberté de la presse ». En France, ça se manifeste comment ? Oh, tranquillement. Par la suspension d’un humoriste sur une radio publique et par une campagne raciste très violente et des menaces de mort contre une journaliste d’origine magrébine, Nassira El Moaddem.

Guillaume Meurice suspendu
Le 29 octobre, le célèbre comique Guillaume Meurice faisait une blague contre le Premier Ministre israélien d’extrême droite, qu’il avait qualifié de «nazi sans prépuce». Rien de bien sensationnel, surtout qu’au même moment, les défenseurs d’Israël faisaient quotidiennement des déclarations génocidaires dans tous les médias, qualifiant les palestiniens de «cancer» et faisant des hiérarchies entre les vies d’enfants palestiniens et israéliens.
Charlie Hebdo venait même de publier une caricature de la députée Insoumise Obono reprenant tous les codes des dessins racistes des années 30. La députée noire, dessinée avec un visage rond, un gros nez et une bouche démesurée, à côté d’israéliens avec des nez crochus, le tout titré : «Gaza/Israël, la paix, c’est possible ! La France échange Obono contre les otages israéliens». Subtil.
Mais c’est bien Guillaume Meurice qui avait été convoqué par la police. Un coup de pression dans une ambiance de chasse aux sorcières qui frappe les personnalités qui osent s’élever contre le génocide à Gaza.
En avril 2024, la plainte est finalement classée. Il n’y a pas encore d’enfermement d’humoriste pour une blague déplaisant aux autorités en France. Au rythme où vont les choses, ça viendra peut être.
Mais fort de cette absence de poursuites, Guillaume Meurice a ressorti sa vanne lors de sa chronique sur France inter. La direction, qui espérait sans doute que la justice le condamne pour avoir un motif de licenciement, a profité de cette «récidive» pour le punir. Meurice est désormais suspendu d’antenne, on ne l’entendra plus, en attendant un «entretien» pour «faute grave», qui pourrait mener à son licenciement. Bonne ambiance.
Meurice s’était déjà fait dépublier en 2022 un «dictionnaire parodique» prévu aux éditions du Robert qui venaient d’être rachetées par… Bolloré.
Mais revenons à Radio France. C’est le grand ménage dans la radio publique, dont la grille des programmes est reprise en main. Et devinez qui est à sa direction ? Sibyle Veil, une énarque, et copine de promotion de Macron. Et à la tête de France Inter, Adèle Van Reeth, en couple avec Raphaël Enthoven, faux philosophe et vrai propagandiste macroniste, dévoré par la haine de la gauche et violemment pro-israélien, qui avait dit en 2022 qu’il préférerait voter Le Pen que Mélenchon. Depuis l’arrivée de Van Reeth à France Inter, le nombre d’invités d’extrême droite a explosé et des émissions trop critiques à l’égard du pouvoir ont été évincées.
Nassira El Moaddem ciblée par l’empire Bolloré
Le 1er mai sur la chaine Cnews, le député du RN Julien Odoul – qui sera jugé en septembre 2024 avec Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens – réclamait que la journaliste Nassira El Moaddem «quitte la France». C’était sur le plateau de Jean-Marc Morandini condamné pour harcèlement sexuel et corruption sexuelle de mineurs.
Depuis des jours, cette journaliste qui a travaillé pour Radio France, le Bondy Blog et actuellement pour Arrêt Sur Image, et qui traite notamment de la problématique du racisme, est la cible d’une campagne délibérée et concertée de l’empire Bolloré.
Sur Cnews, Europe 1 ou dans le JDD, un tweet datant de plusieurs mois de la journaliste a été exhumé : réagissant à une interdiction de la Fédération de football aux joueurs amateurs de porter des collants ou des protections, elle avait parlé de «pays de racistes dégénérés» pour dénoncer l’obsession islamophobe en vigueur en France. Il faut dire que nous avons la seule Fédération sportive au monde qui interdit des vêtement portés par des amateurs, qui ne sont pas interdits par la loi, et qui ne gênent en rien l’activité sportive.
En boucle, l’émission de Cyril Hanouna a trainé dans la boue la journaliste, les plateaux de Cnews ont commenté ce tweet pendant des heures, en exposant le visage de la journaliste à l’écran, en réclamant son licenciement, en répandant des mensonges… Par exemple que son employeur serait financé par l’argent public, alors qu’Arrêt Sur Image est un média indépendant financé par ses abonné-es. Résultat : un torrent d’insultes racistes et de menaces de mort envoyées à la journaliste, les influenceurs Reconquête ont aussi ouvert une cagnotte abjecte «pour payer le billet d’avion».
Comme le souligne Nassira El Moaddem : «la vérité n’est pas leur problème. Leur objectif, faire un strike : harceler une Arabe et s’en prendre au service public de l’information». Un harcèlement en meute.
Et le pire, c’est que France Inter, qui était son ancien employeur, s’est désolidarisée dans un communiqué, disant «nous avons bien reçu vos messages [réclamant le licenciement de la journaliste] et nous les comprenons» et précisant qu’elle «n’est pas, à ce jour, salariée de l’antenne ou de Radio France».
Le message envoyé est gravissime. Au lieu de défendre une journaliste face à l’extrême droite au nom de la liberté de la presse, Radio France la lâche aux chiens. C’est gagné, maintenant, les fascistes savent qu’ils peuvent lancer des campagnes pour briser qui bon leur semble. France Inter a discrètement modifié son communiqué depuis, mais le mal est fait.
Rappelez-vous quand Mélenchon avait simplement critiqué l’éditorialiste Ruth El Krief, connue pour ses engagements très à droite et dénoncée pour ses mensonges en faveur d’Israël : toute la profession avait fait bloc pour El Krief, présentée comme une victime de la gauche et «persécutée». Et pour Nassira El Moaddem ? Rien.
Ce 3 mai, la journaliste écrit sur Twitter : «J’en appelle aux autres confrères et consœurs. Ne laissez pas les gens comme moi seuls au front. J’ai le cuir solide mais je ne suis pas un paillasson. Parlez, écrivez, défiez en interne ou publiquement si vous le pouvez. Faites quelque chose !» Ne la laissons pas seule.
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