Le mot «Nakba» veut dire catastrophe en arabe. Cette expression évoque le souvenir douloureux des massacres et des déplacements forcés de population commis en 1948 par l’armée israélienne. Un crime qui constitue l’acte de naissance de l’État israélien.
Le 14 mai 1948 à minuit, c’est la fin du mandat britannique sur la Palestine, et l’État d’Israël est proclamé à Tel Aviv. Le 15 mai, la guerre israélo-arabe éclate, remportée par Israël. En toile de fond, un nettoyage ethnique : 700.000 palestiniens et palestiniennes sont chassées de leurs terres et ne pourront jamais revenir. Parquées dans des camps, avec leurs enfants et leurs petits enfants, depuis plusieurs générations. Si l’on retient la date du 15 mai pour commémorer la Nakba, l’événement dure plusieurs mois.
En 1948, l’armée israélienne et des groupes paramilitaires juifs s’organisent pour contrôler le nouveau territoire et en chasser ses habitant-es d’origine, afin d’établir un foyer hébreu ethnique. En mars, un plan baptisé plan Daleth est lancé. Il vise explicitement à dépeupler la Palestine et raser les villages palestiniens.
L’un des «objectifs opérationnels» est la «destruction de villages (y bouter le feu, les faire exploser et planter des mines dans les débris), en particulier les centres de population dont le contrôle continu est difficile» ou encore «l’encerclement de village et fouille de ceux-ci. En cas de résistance, les forces armées doivent être détruites et la population expulsée en dehors des frontières de l’État hébreu».
Les forces armées israéliennes commettent des meurtres, des viols, détruisent des maisons. Par exemple, le village musulman de Deir Yassin, situé près de Jérusalem, est attaqué le 9 avril 1948 par des combattants de l’Irgoun, un groupe militaire clandestin dirigé par Menahem Begin, un sioniste d’extrême droite qui fondera plus tard le Likoud, le parti de Netanyahou. Le village est «nettoyé» à la mitraillette, à la grenade et au couteau. 120 civils désarmés, dont beaucoup de femmes, d’enfants et bébés, sont tués. Les rescapé-es s’enfuient, les habitations sont détruites.
Le même jour, quatre villages voisins sont rasés. L’effet de terreur est immédiat et pousse de nombreux palestiniens à fuir l’avancée des troupes israéliennes.
En mai 1948, entre Haïfa et Tel-Aviv, le port palestinien de Tantura est entièrement anéanti. Il comptait quelque 1700 habitant-es. 200 civil-es sont exécuté-es et jeté-es dans une fosse commune, les autres sont déporté-es. Sur les ruines de ce village, deux colonies s’installent. On y trouve aujourd’hui un kibboutz bien entretenu au bord de la mer.
Un film baptisé «Tantura», du réalisateur israélien Alon Schwartz, sorti en 2022, relate cet épisode. Il donne la parole à d’anciens combattants qui ont aujourd’hui plus de 90 ans. L’un d’eux, Amitzur Cohen, explique : «Je n’ai jamais fait de prisonniers. Quand un groupe d’Arabes se tenait devant moi les mains en l’air, je les descendais tous». Combien d’Arabes a-t-il tués ? «Je n’ai pas compté, j’avais une mitrailleuse avec 250 balles. Je ne peux pas dire combien». D’autres évoquent des actes de torture, de barbarie, des viols, des «montagnes» de cadavres. Voilà l’acte de naissance d’Israël. Une immense opération de spoliation, de terreur et de crimes, comme dans tous les processus coloniaux.
Un négationnisme perdure en Israël sur cet épisode. L’idéal sioniste prétend qu’Israël serait une “terre sans peuple pour un peuple sans terre”, allant jusqu’à nier l’existence même d’un autre peuple qui y résidait auparavant.
Heureusement, des historiens ont collecté des preuves sur la Nakba, par exemple le chercheur israélien Ilan Pappé, qui qualifie ce grand exode palestinien d’«épuration ethnique», un choix politique et planifié par les fondateurs d’Israël. En 2008, il publie «Le nettoyage ethnique de la Palestine», une recherche documentée sur cette création de l’État d’Israël à partir d’expulsions systématiques et de méthodes qu’il qualifie de «génocide progressif».
Ilan Pappé vit aujourd’hui en Angleterre, après avoir subi des harcèlements et des évictions au sein du monde universitaire israélien. Il a aussi publié, entre autres, les livres : «La propagande d’Israël» ou «Les dix légendes structurantes d’Israël», travaillant sur l’imaginaire dominant servant à justifier la domination coloniale.
Que sont devenus les 700.000 palestinien-nes chassé-es en 1948 ? Ils et elles se sont entassées dans des camps de réfugiés en Syrie, au Liban ou à Gaza. En effet, beaucoup de gens l’ignorent, mais la plupart des habitant-es de Gaza massacré-es ou déplacé-es actuellement sont déjà des exilé-es sur leur propre terre : des enfants et petits-enfants de personnes chassées en 1948. Doublement exilées. Une errance et une souffrance sans fin, depuis 76 ans.
La candidate Rima Hassan est, quant à elle, née dans un camp palestinien en Syrie. Les enfants et petits enfants des palestinien-nes chassé-es en 1948 gardent parfois des clefs et une photo de leur ancienne maison, rêvant encore, 76 ans plus tard, de pouvoir retourner chez eux.
La mémoire est donc intacte, du côté des opprimé-es comme des oppresseur-ses. Par exemple, en octobre dernier, de nombreux médias autour du monde ont médiatisé un vieil israélien, Ezra Yachin. Le journal allemand Bild écrivait qu’à «95 ans» cet homme était «le plus vieux réserviste de l’armée israélienne» et qu’il a «enfilé l’uniforme pour aider l’armée israélienne dans sa riposte contre les attaques du Hamas». Le Journal de Montréal explique qu’il «est désormais appelé au front pour motiver les troupes de Tsahal». Un joli portrait.
En réalité, Ezra Yachin a combattu dans le groupe Lehi, un groupe sioniste d’extrême droite qui pratiquait des attentats terroristes dans les années 1940 en Palestine. Ce groupe, qui admirait le fascisme italien, voulait créer un État israélien totalitaire sur le modèle européen et a même proposé à Hitler de combattre avec le Troisième Reich contre l’Angleterre. Ezra Yachin a participé à la Nakba.
En 2023, il était filmé en train de parler aux soldats qui s’apprêtent à entrer dans Gaza. Voici ses propos : «N’en laissez aucun vivant. Effacez leur souvenir. Effacez-les, leur familles, mères et enfants. Ces animaux ne peuvent pas vivre plus longtemps.» Ou encore : «On n’a plus d’excuse. Chaque juif avec une arme doit sortir et les tuer. Si vous avez un voisin arabe, n’attendez pas, allez dans sa maison et tuez-le». «Nous allons voir des choses que nous n’avions jamais rêvée […] Toutes les prophéties sont sur le point de se réaliser».
76 ans après la Nakba de 1948, une nouvelle Nakba est en cours : le massacre de la population de Gaza et l’accélération de la colonisation en Cisjordanie. L’objectif affiché de l’extrême droite israélienne est d’empêcher à jamais un possible État palestinien, et de chasser les palestinien-nes qui vivent encore sur le territoire. Les fascistes messianiques au gouvernement en Israël rêvent d’un «Eretz Israël», un «Grand Israël» ethnique et religieux tel que décrit dans la Bible, qui irait de la mer au Jourdain et même au-delà, car selon eux c’est la terre que Dieu leur a promise.
Mais les Palestinien-nes ont toujours leurs clefs, et la Palestine vit à travers elles et eux, toujours debout, et soutenue par les peuples du monde entier.
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