Imane Khelif : la boxeuse algérienne qui enflamme l’extrême droite mondiale


Décryptage d’une intox


Imane Khelif : la boxeuse algérienne après avoir gagné son combat contre l'italienne Angela Carini

Le milliardaire propriétaire du réseau social X Elon Musk, le candidat Donald Trump, la fasciste française Marion Maréchal Le Pen, la cheffe du gouvernement d’extrême droite italien Georgia Meloni, l’autrice d’Harry Potter JK Rowling, l’influenceur Logan Paul, le Premier Ministre hongrois Viktor Orban… c’est une coalition de toute l’extrême droite et des réactionnaires du monde entier qui se déchaîne depuis quatre jours contre contre une boxeuse algérienne jusqu’ici peu connue, âgée de 25 ans : Imane Khelif. Un déferlement de tweets, de mensonges et de déclarations outrancières dont le seul but est de détester publiquement les femmes et les trans.

Un mensonge imposé comme une vérité

D’abord, toute la polémique part d’un mensonge. Imane Khelif est une femme. Elle s’identifie comme telle. Ses photos d’enfance la montrent vêtue en petite fille. Contrairement à ce qu’affirment la galaxie réactionnaire, la sportive n’est pas transgenre. De plus, et on peut le regretter, l’Algérie est un pays qui réprime fortement l’homosexualité et interdit évidemment toute transition de genre. Prétendre que ce même pays enverrait volontairement dans une compétition de niveau mondial une personne trans est complètement irrationnel.

La polémique est partie de la défaite de la boxeuse italienne Angela Carini, qui a abandonné face à la boxeuse algérienne au bout de 46 secondes, après avoir reçu un coup. Plutôt que de reconnaître sa défaite, elle a fondu en larmes et a accusé son adversaire d’être un homme. Toute l’extrême droite s’est précipité sur ces images, créant le récit d’un prétendu «homme algérien» qui aurait frappé une sportive «blanche». La même Angela Carini avait pourtant déjà abandonné contre une boxeuse turque en 2022, après s’être tordu la cheville sur le ring. Plutôt que de diffamer la gagnante, personne ne s’est demandé si cette combattante italienne n’était peut-être, tout simplement, pas au niveau…

L’intox s’appuie sur un test de l’Association internationale de boxe – IBA – lors duquel la boxeuse algérienne aurait «échoué» à des tests de genre. En réalité, Imane Khelif a été testée avec un fort taux de testostérone, mais selon le Comité International Olympique, cela ne suffit pas pour annuler sa participation aux Jeux de Paris, qui a validé sa candidature.

L’IBA n’est plus reconnue par le CIO en raison de problèmes de gouvernance, de scandales d’arbitrage et de ses liens financiers avec l’entreprise russe Gazprom, liée au régime de Poutine. Gazprom a financé ses propres milices pour combattre en Ukraine.

On sait que l’un des angles principaux du régime russe pour attaquer l’Europe dans le cadre de sa guerre idéologique, est de l’accuser d’être «dégénérée» et pro-LGBT. Répéter que les Jeux de Paris accueilleraient des sportifs trans s’inscrit donc dans cette offensive médiatique, qui dure déjà depuis des années.

Pourtant Imane Khelif respecte les règles. C’est le CIO qui le rappelait encore mardi : l’athlète «boxe depuis des années dans les catégories féminines. Elle ne vient pas juste d’arriver, elle était déjà aux Jeux de Tokyo». La boxeuse a participé à de nombreux combats face à des femmes, et a d’ailleurs perdu 9 fois contre d’autres combattantes en championnat féminin. Elle n’est pas invincible comme le prétend la perdante italienne. Tout cela n’est jamais rappelé.

Une pathologie répandue

Avoir un fort taux de testostérone, qu’est-ce que ça veut dire ? Il faut souligner que toutes les femmes sécrètent de la testostérone, mais dans une proportion moindre que les hommes. Certaines, pour des raisons génétiques ou à cause de maladies, en secrètent plus que d’autres.

Par exemple, une femme sur 10 souffre d’un «syndrome des ovaires polykistiques» – SOPK. C’est une pathologie de plus en plus courante, qui provoque un dérèglement hormonal et, souvent, un phénomène d’hyperandrogénie. Cette surproduction de testostérone s’accompagne chez des millions de femmes d’une pilosité développée, d’absence de règles, d’acné, du diabète… Le SOPK est littéralement la maladie hormonale la plus fréquente chez les femmes en âge de procréer. Faut-il interdire à toutes ces femmes de faire du sport ?

Une affaire qui questionne les assignations de genre

En réalité, cette affaire dérange les transphobes et les réactionnaires car elle questionne les assignations de genre. On peut naître femme dans un corps de femme tout en ayant un taux de testostérone comparable à celui des hommes.

Il n’y a même pas besoin d’avoir de problème hormonal : il suffit qu’une femme ne corresponde pas aux stéréotypes de la féminité ou fasse du sport de haut niveau pour être suspectée. Nous avons tou-tes entendu des expressions comme «cette meuf est un bonhomme» ou «un garçon manqué». La sportive française Amélie Mauresmo, musclée et homosexuelle, subissait d’ailleurs déjà des insultes et discriminations il y a 20 ans.

Inversement, on peut naître homme et avoir des taux de testostérone plus bas et des caractères physiques associés aux représentations du corps féminin. C’est d’ailleurs ce qui vaut aux hommes petits, moins musclés ou considérés comme pas “virils”, des insultes homophobes et des humiliations dès l’adolescence.

Imane Khelif remet en cause la définition restrictive de la féminité et de la masculinité. Par définition les athlètes sortent de ces stéréotypes. En particulier dans les sports de combat, où l’objectif est justement de battre et de dominer physiquement son adversaire. Il est donc totalement paradoxal d’attendre que des combattantes de haut niveau correspondent aux codes d’une féminité fantasmée par le patriarcat : fragile, maquillée, frêle…

Si l’extrême droite se souciait vraiment de la cause des femmes, plutôt que de persécuter une boxeuse, il y a de véritables scandales dans ces Jeux. Par exemple un sportif hollandais, condamné pour avoir violé une enfant de 12 ans, sélectionné en Beah Volley.

Un imaginaire raciste et colonial

Cette polémique n’est pas que sexiste et transphobe, elle est aussi raciste. Avant Imane Khelif, la championne de tennis Serena Williams, noire, était accusée d’être un homme lorsqu’elle surpassait une femme blanche. La coureuse sud-africaine Caster Semennya également, lorsqu’elle a battu une femme blanche. Le corps des femmes noires et arabes est considéré comme plus masculin, dans la continuité de l’imaginaire colonial qui assimile les non-blancs à l’animalité, à la force ou au danger.

Pour finir, les détracteurs d’Imane Khelif diront que même si la boxeuse est une femme et que sa participation est légale, celle-ci reste injuste sur le plan moral. Un taux élevé de testostérone offre-t-il un avantage sportif ? Probablement, comme le fait de mesurer plus de 2 mètres est avantageux lorsqu’on fait du basket, par rapport à ceux qui mesurent moins de 1 mètre 70. Ou le fait d’avoir une silhouette filiforme et des jambes longues en marathon.

Le sport de haut niveau est fondamentalement injuste puisqu’il est compétitif et repose sur des aptitudes physiques inégales. Si l’on poussait au bout la logique des opposants à la boxeuse algérienne, il faudrait alors abandonner toute compétition sportive et favoriser des activités physiques reposant sur la coopération, sans gagnant-es ni perdant-es. Mais l’extrême-droite, dont l’imaginaire repose sur le culte des plus forts, n’est certainement pas prête à cela.

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