Depuis le retour des Talibans en août 2021, l’Afghanistan est, après la Syrie, le pays le plus hostile aux femmes au monde selon le Women, Peace and Security Index du Georgetown Institute for Women.
Bien que les Talibans aient tenté à l’époque de rassurer la communauté internationale en affirmant qu’ils ne toucheraient pas aux droits des femmes, ils n’ont eu de cesse depuis de les détricoter un à un. Ainsi, dès fin 2021 en Afghanistan, les femmes n’étaient plus autorisées à voyager sur de longues distances sans chaperon (mahram), elles n’avaient plus accès aux jardins publics, parcs ou salles de sport. Aujourd’hui, elles ne peuvent plus aller à l’école après 12 ans, ni travailler pour une ONG, et doivent se couvrir des pieds à la tête pour sortir de chez elles.
Un nouveau cap a été franchi jeudi 22 août avec la promulgation d’une série de lois pour “promouvoir la vertu et prévenir le vice”. L’ONU dénonce un “apartheid de genre”.
Ces 35 lois comportent entre autres l’interdiction pour ces dernières de faire entendre leur voix en public, et donc de chanter ou de lire à haute voix en public. En tentant de restreindre l’accès des femmes à l’espace public et en tentant de les silencier, l’ambition est claire : les cloisonner à leurs fonctions de reproduction, les cantonner à un seul espace : leur foyer domestique. Cette silenciation est visibilisée : on les invite à se masquer la bouche, à l’aide d’un masque chirurgical si besoin.
En réponse à cette nouvelle attaque contre leurs droits fondamentaux, de nombreuses femmes ont bravé l’interdit et publié des vidéos d’elles en train de chanter en public, ou en privé devant leur miroir, à visage découvert. Elles dénoncent ainsi les lois promulguées : “Vous m’avez réduite au silence pour les années à venir “, “ma voix n’est pas interdite”, “non aux talibans”. On ne peut que saluer leur courage.
La voix des femmes est politique : on a toujours tenté de la contrôler, de la cantonner à la sphère privée (et encore). La parole, et surtout la parole en public, est l’apanage des hommes.
Aujourd’hui, quand une femme fait de la politique, sa voix est analysée sous toutes ses coutures : trop aiguë, trop criarde, trop faible… Elles sont des “pipelettes”, ce qu’elles disent est forcément “frivole”.
La voix des femmes, et ce depuis l’Antiquité, est perçue comme dangereuse car pouvant charmer, ensorceler et pervertir les hommes. Ainsi, une des premières occurrences de la voix des femmes se retrouve dans “L’Odyssée” d’Homère. Une des épreuves auxquelles est soumis Ulysse est le supplice du chant des sirènes : “Tu arriveras d’abord chez les sirènes, dont la voix charme tout homme qui vient vers elles”. La voix des femmes a une portée mystique, dangereuse, il faut s’en prévenir.
Yaël Benzaquen, spécialiste de la voix des femmes, évoque également la peur des invocations des sorcières, qu’il fallait faire taire à tout jamais, les purifier par le feu. Chez Sophocle, «Le silence donne aux femmes une grâce appropriée». Ainsi, les femmes qui prennent la parole sont forcément du côté du vice.
Ce n’est pas pour rien que les lois promulguées par les talibans en Afghanistan ont pour but de “promouvoir la vertu et prévenir le vice”. Roza Otunbayeva, représentante ONU Afghanistan le résume très bien ainsi : “Le seul son d’une voix féminine à l’extérieur du foyer étant apparemment considéré comme une violation morale”.