Mondialisation : les pays du Sud travaillent pour ceux du Nord


La population occidentale bénéficie, même inconsciemment, du labeur des travailleurs du Sud global.


La mondialisation est une forme d'exploitation du Sud par le Nord : en haut des personnes dans une mine de coltan, en bas un open space où les occidentaux peuvent s'adonner à des bullshit jobs.
Au centre, un graphique montre l'appropriation nette du travail des pays du Sud par les pays du Nord, par secteur d'activité.

Qu’est ce qui permet à tant de monde d’avoir des salaires corrects dans des bullshit jobs improductifs et d’acheter des produits manufacturés à tout petit prix ? La production de richesse dans les pays pauvres grâce à la mondialisation, sorte de colonialisme économique.

La mondialisation, aboutissement de la doctrine libérale

Le libéralisme économique est une doctrine qui considère que la meilleure façon de satisfaire une population est de laisser faire le marché afin que les richesses soient distribuées au mieux entre ses différents acteurs. « Au mieux », ça ne veut pas dire de façon égalitaire, mais de façon à satisfaire au mieux (ou au moins pire) un maximum de personnes.

La doctrine libérale, théorisée dès le 18ème siècle, notamment avec Adam Smith puis David Ricardo, vante un monde idéal fait d’entreprenariat et où la production non-marchande est absente. Les communs sont accaparés par des producteurs privés et l’État taxe à peine de quoi assurer son fonctionnement régalien voire n’existe même pas pour les libertariens les plus radicaux. Ces derniers sont aussi appelés anarcho-capitalistes, mais n’ont en fait rien d’anarchistes et ressemblent à des prédateurs comme Javier Milei, président argentin qui a la sympathie d’Emmanuel Macron.

En supprimant toute intervention sur le marché, y compris les règlementations ou les droits de douanes, le libéralisme doit aboutir à un phénomène de mondialisation. C’est-à-dire que le monde devient ni plus ni moins qu’un vaste marché. En s’unifiant, le marché mondial permettrait ainsi de gommer les inégalités entre les pays et de tirer le meilleur parti de chaque région du monde. Sauf que, évidemment, ça ne fonctionne pas du tout. Voici pourquoi :

L’ordre colonial reste intact

Après la seconde guerre mondiale, la décolonisation s’accélère et les États occidentaux lâchent peu à peu la bride aux gouvernements des pays du Sud. Mais l’ordre colonial perdure encore aujourd’hui encore. En effet, les puissances impérialistes gardent le contrôle sur les systèmes politiques et économiques de leurs anciennes colonies. C’est par exemple le cas de la Françafrique, façon de nommer la diplomatie française qui influence fortement les institutions africaines afin de bénéficier du pillage des ressources mis en place lors de la colonisation.

Des entreprises comme Lesieur, Unilever ou la papèterie Bolloré ont ainsi pu prospérer en Afrique et y conservent encore souvent d’importants intérêts. Des archives des compagnies coloniales sont disponibles ici afin de savoir qui fait aujourd’hui fructifier cet argent sale. 

La colonisation ne peut toutefois se résumer au pillage des ressources : il s’agit aussi d’un ordre moral raciste fondé sur l’esclavagisme. L’individu colonisé n’est pas blanc, et peut donc être exploité de façon déshumanisée. L’esclave n’est qu’une marchandise, un meuble, une propriété de son maître blanc : il est un capital. Il peut donc être déplacé en fonction des choix d’implantation de l’entreprise qui le possède.

Mais avec l’abolition de l’esclavage d’abord, puis la décolonisation, la figure de l’esclave disparaît. Le non-blanc devient un exploité comme les autres, et ses conditions d’existence ne s’améliorent pas forcément. En témoigne le documentaire de René Vautier, Afrique 50, dénonçant une exploitation coloniale raciste pour laquelle « les nègres coûtent moins cher que le mazout ».

La mondialisation s’arrête là où commence Frontex

C’est que le travail n’est pas une marchandise comme les autres : les humains ne se déplacent pas comme des boîtes de conserve. Il faut exploiter chez elles des populations non-blanches pour en rapatrier le produit, et n’en faire venir chez nous que la quantité de personnes suffisantes pour des travaux que les populations occidentales refusent de faire. Une quantité suffisante aussi pour faire pression à la baisse sur les salaires. Cela crée du chômage afin de s’assurer de la docilité des travailleurs et travailleuses, tout en alimentant la vieille rengaine raciste du RN : « les étrangers viennent voler le travail des français ».

La doctrine libérale affirme pourtant que, pour fonctionner, le marché doit s’assurer de la libre circulation des facteurs de production, donc du travail. C’est l’argument qui justifie l’espace Schengen et le dumping social que mènent les États européens. Pourtant cette logique s’arrête là où commence Frontex. Si la mer Méditérannée est un cimetière, c’est que nos gouvernants sont plus racistes qu’ils ne sont libéraux. Les droits de douanes n’ont cessé de baisser depuis 1945, mais ce n’est pas pour favoriser une concurrence pure et parfaite. C’est pour enrichir toujours plus les multinationales et pour que la population occidentale puisse consommer pour pas cher des produits fabriqués dans des pays moins développés.

Le mauvais partage de la valeur ajoutée

Chez Adam Smith comme chez David Ricardo, le libéralisme se justifie par deux principes simples : c’est la recherche d’un profit individuel qui permet au marché de fonctionner de manière optimale ; chaque économie a intérêt à se spécialiser dans des productions où elle est la meilleure (Smith) ou la moins désavantagée (Ricardo). À l’aide d’une démonstration extrêmement simple, on voit vite que la mondialisation semble avantageuse pour tout le monde. Mais…

Cherchant à maximiser leur profit, les entreprises vont segmenter leur production là où elles y ont le plus intérêt. Or les types de productions qui génèrent le plus de valeur ajoutée sont en amont et en aval de la production. Il s’agit de la recherche et développement, de la conception de produits, du marketing ou encore de services. Autant de productions qui sont principalement situées dans les pays développés. Ne restent aux pays du Sud que les étapes de production proprement dites, celles qui créent le moins de valeur en tant que telle.

Ce phénomène, c’est ce que les économistes appellent la courbe du sourire. Est-il besoin de préciser que le sourire en question appartient aux capitalistes, et non aux travailleurs et travailleuses ? Ce sourire ne cesse de s’élargir, c’est-à-dire que plus la mondialisation de la production se développe, moins la production dans les pays du Sud génère de revenus. Autrement dit : loin de réduire les inégalités entre pays, la spoliation des richesses du Sud par le Nord s’accélère.

Représentation graphique de la courbe du sourire : au centre, la production matérielle est l'étape qui génère le moins de valeur.

C’est ainsi qu’on se retrouve, en France et dans les autres pays occidentaux, avec des bullshit jobs qui n’ont aucun sens mais qui paient bien. Dans le même temps, les ouvriers qui triment dans les mines de coltan en RDC sont exploités pour une misère.

Un véritable pillage du travail

La proportion de travail réalisé dans les pays du Sud ne cesse d'augmenter, pour atteindre aujourd'hui 90%.

Une étude parue dans la revue Nature détaille cet échange totalement déséquilibré entre Nord et Sud global. Olivier Cyran résume ainsi les conclusions de cette étude : « En 2021, les économies occidentales se sont appropriées le fruit de 825 milliards d’heures travaillées dans les pays du Sud. Les travailleurs des pays pauvres accomplissent 90% du travail qui fait tourner l’économie planétaire, mais ne touchent que 21% de ses revenus ».

La mondialisation aboutit ainsi à une prolétarisation toujours plus importante des pays du Sud. L’économie n’a jamais été décolonisée.

Un creusement des inégalités au sein des pays

Pourtant, les économistes libéraux continuent à soutenir que la mondialisation est une bonne chose, et que les inégalités entre pays ne cessent de se réduire. Ça serait vrai si ce phénomène ne correspondait pas à une moyenne, masquant ainsi une autre réalité : la mondialisation accroit les inégalités au sein des pays.

Certaines personnes, y compris dans les pays les plus pauvres, profitent de la mondialisation. Les pays en développement aussi ont leurs ultra-riches, faisant remonter la moyenne des pays du Sud global. Entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches du monde ont capté 27% de la croissance mondiale, tandis que les 50% les plus pauvres, essentiellement situés dans les pays du Sud, n’en ont capté que 12%. Ce phénomène n’a fait que s’accélérer depuis, notamment avec la crise du Covid, et s’accompagne d’une compression des 90% de travailleur-euses des pays du Nord, qui doivent faire face aux délocalisations et à la concurrence des salaires faibles du Sud.

Graphique montrant la croissance du revenu réel par adulte en fonction du revenu de 1980 à 2016 : une mondialisation des inégalités.

L’ostracisation des pays qui refusent la mondialisation

Bien qu’on parle de mondialisation, le libéralisme économique n’a pas (encore) conquis toute la planète. D’abord parce que certains pays sont considérés comme trop instables politiquement pour y faire du commerce (c’est le cas du Soudan par exemple). Aux crises politiques s’ajoutent ainsi les crises économiques.

Même les maigres bénéfices de la mondialisation n’arrivent pas jusqu’à la population. Les élites bradent leurs ressources au plus offrant pour renforcer son pouvoir sur la zone. C’est par exemple ce qu’a fait l’État Islamique pour s’implanter au Rojava, la région syrienne du Kurdistan, vendant son pétrole ou même son coton aux occidentaux en passant par la Turquie afin de gagner en influence et s’assurer une pérennité.

D’autres régions du monde qui refusent le libéralisme vont être exclues de la mondialisation, partiellement ou totalement. C’est par exemple le cas de Cuba, un État ostracisé depuis la révolution de 1959 qui porta Fidel Castro au pouvoir. L’île qui doit subir un embargo américain dont la force varie en fonction des tensions internationales. Les États-Unis étant au cœur du marché mondial, l’île de Cuba est de fait mise au ban de la mondialisation, et l’État cubain peine à être réellement autosuffisant : c’est le prix du refus du libéralisme.

Et les conséquences écologiques dans tout ça ?

La mondialisation, par définition, augmente les échanges entre pays. Mais le transport de marchandises à travers le monde s’accompagne d’une augmentation de la pollution que les économistes libéraux ont tendance à négliger : le coût écologique du libre-échange est souvent élevé, alors même que les mesures environnementales incitent la population à plutôt consommer local.

Au contraire de ces incitations, le libre-échange permet d’exporter la pollution : les activités les plus néfastes pour l’écosystème étant transférées dans les pays du Sud, au niveau de vie plus faible et avec des règlementations moins contraignantes.

L’homogénéisation de la consommation à travers le monde fait ainsi augmenter les émissions de carbone, aggravant la crise climatique. Mais les infrastructures du Nord sont mieux protégées qu’au Sud. Pire, elles servent de modèle : des pays du Sud investissent dans des modèles de production occidentaux alors que leurs modèles traditionnels pourraient mieux tenir le coup face au dérèglement climatique.


Spoliation des ressources, exploitation du travail, domination néo-coloniale et exportation au Sud des conséquences négatives : la mondialisation libérale est un cauchemar planétaire. Il faut que ça cesse.


Faire un don à Contre Attaque pour financer nos articles en accès libre.

Pour ne rien manquer de nos publications, suivez-nous sur nos réseaux



Une réflexion au sujet de « Mondialisation : les pays du Sud travaillent pour ceux du Nord »

  1. La décroissance permettrait d’en finir avec cette effroyable excroissance économique mondiale. ,Pourquoi toujours plus de croissance si ce n’est pour en mettre plein les poches à la bourgeoisie .? Dans le magazine Socialter Timothée Parrique parle de la décroissance en expliquant que trente pour cent de la production énergétique et matériel que nous produisons suffisent pour nourrir 8,5 milliards de la population mondiale et que cela permettrait à l’humanité de vivre mieux tout en respectant le vivant en générale. Maintenant que l’heure de la décroissance à sonné , sortons de ce système économique effroyable, changeons de Cap.

Laisser un commentaire