«Le fait même de se rebeller définit la personne que l’on est au cours de sa vie»
Elle semblait avoir eu tellement de vies qu’on aurait pu la croire immortelle. Madeleine Riffaud s’en est allée le 6 novembre 2024. Elle avait 100 ans. Poétesse, résistante, révoltée, anticolonialiste, elle a traversé le siècle sans jamais avoir perdu la flamme qui l’animait.
Enfant de Picardie, Madeleine s’engage dans la Résistance alors qu’elle n’a que 18 ans, sous le pseudonyme de Rainer, le prénom du poète allemand Rilke, dont elle apprécie les écrits.
Sous l’occupation, elle écrit des poésies, travaille dans un hôpital, et sent la révolte contre les exactions des nazis la consumer. Nous sommes en 1942. La jeune femme rejoint les Francs Tireurs Partisans, le groupe de résistants communistes. Entre autres faits d’armes, elle apprend à poser des explosifs sur les véhicules allemands et couvre la retraite d’un camarade mis en joue par un soldat allemand. Le 23 juillet 1944, elle apprend le massacre commis par une unité SS dans le village d’Oradour-sur-Glane, où elle passait ses vacances durant son enfance.
Sous le choc, après l’exécution d’un de ses amis résistants, Madeleine Riffaud abat un officier nazi en pleine rue de deux balles dans la tête. Alors qu’elle s’enfuit, Madeleine est renversée par la voiture d’un collabo. Arrêtée, torturée à plusieurs reprises par la Gestapo, elle est déportée vers les camps. Intrépide, elle saute du train qui l’emmène vers la mort. Quelques jours plus tard, elle est de nouveau arrêtée et sauvée par une intervention de la Croix Rouge. Elle reprend immédiatement son combat de résistante. La fin de la guerre est proche : à Paris, l’insurrection vient d’éclater contre l’Occupant. En Normandie, les alliés ont débarqué. À l’Est, les troupes soviétiques taillent en pièces l’armée nazie.
Le 23 août 1944, à la tête de quatre hommes seulement, elle attaque un train depuis un pont des Buttes Chaumont, dans le 19ème arrondissement de la capitale, en jetant des explosifs et des feux d’artifice sur la locomotive, ce qui donne l’impression d’une attaque de grande ampleur. Un wagon déraille. Les soldats allemands tirent à la mitrailleuse, avant d’être bloqués dans un tunnel. Madeleine arrête 80 soldats de la Wehrmacht, le jour de ses vingt ans. Peu après, elle participe à l’attaque armée d’une caserne place de la République.
Après guerre, Madeleine Riffaud devient grand reporter au sein du quotidien communiste l’Humanité. Elle y couvre la grande grève des mineurs en 1948, réalise des articles sur la condition ouvrière, la guerre d’Algérie, puis la guerre du Vietnam. Elle soutient les luttes anti-colonialistes, parcourt le monde en tant que correspondante de guerre – un poste rarissime pour une femme à cette époque. Elle se rend jusque dans un maquis du Vietnam pour un reportage remarqué, et devient amie avec l’indépendantiste Hô Chi Minh.
En 1962, Madeleine Riffaud frôle la mort une nouvelle fois : elle échappe de justesse à un attentat de l’OAS – un groupe terroriste d’extrême droite pour l’Algérie française – qui rajoute des cicatrices sur son corps déjà marqué par la torture.
En 1973, elle publie publie un livre après une immersion dans un service de chirurgie intitulé «Les Linges de la nuit». Elle y raconte les mauvaise conditions que subit le personnel, la fatigue, le manque de moyens, les fins de vie dans le dénuement. C’est un immense succès d’édition. Dans l’ouvrage, l’autrice dénonce : «La course aux superprofits pèse plus que la vie humaine.» Rien n’a changé.
Dans les années 1990, elle sillonne les écoles pour témoigner de ses souvenirs de résistante. «Tant qu’on a de la force, il faut l’offrir aux autres» déclare-t-elle. En 1994, elle dit : «Le fait même de se rebeller définit l’homme et l’on est au cours de sa vie, plus ou moins homme selon qu’on se résigne à sa condition humaine ou que l’on se rebelle». Jusqu’au crépuscule de son existence, elle continuait à partager ses aventures en fumant le cigare.
Dans un recueil de poésie paru après-guerre, elle évoquait sa première action armée :
Neuf balles dans mon chargeur
Pour venger tous nos frères
Ça fait mal de tuer
C’est la première fois.
Sept balles dans mon chargeur
C’était si simple
L’homme qui tirait l’autre nuit
C’était moi.
Dans le poème Traquenard, elle parlait de la terreur omniprésente et de son enfermement :
Peur des bottes
Peur des clefs
Peur des portes
Peur des pièges.
Ils me font marcher entre eux deux
Ce dimanche de plein soleil
Vers la grande prison
À l’entrée des enfers
À ma gauche est un policier
À ma droite est un policier
Dans chaque poche un revolver.
Et devant moi
Et devant moi
Oh ! Les hautes grilles de fer
[…]
Sitôt les verrous refermés
On entend les nôtres crier
Et dehors c’est dimanche
Et dehors c’est l’été.
Dans une église, l’orgue chante
Un pigeon tout blanc dans l’air bleu
En vol, a caressé ma joue.
Et derrière moi
Et devant moi
Oh ! les hautes grilles de fer !
Dans Mitard, écrit dans la prison Fresnes elle évoquait ses camarades enfermés :
Je sens bien qu’ils sont encore là
Autour de moi, et me regardent.
Leurs yeux s’allument quelques fois
Dans le noir comme des étoiles.
Et ma tête s’appuie
À leurs épaules d’ombre.
Une réflexion au sujet de « La résistante Madeleine Riffaud s’est éteinte après une vie de combats »
Le poète a toujours raison
Qui voit plus haut que l’horizon
Et ce fut il est son royaume
Face aux autres générations
Je déclare avec Aragon
La femme est l’avenir de l’homme.
Jean Ferrat