Aux USA : des milliers de livres interdits


La grande vague de censure commencée depuis trois ans s’accélère avec le retour au pouvoir de Trump, avec l’interdiction de mots, de sites et d’ouvrages


Dans l’imaginaire populaire, les USA sont souvent présentés comme une terre de «Liberté», le pays de tous les possibles, du «free speech» sans restriction, où l’on peut tout dire, même les choses les plus choquantes. Il n’en est rien. Non seulement les USA restent le pays qui compte le plus de détenus au monde par habitant – devant la Russie et la Chine – mais la censure y est industrielle.

Récemment l’actrice Julianne Moore, qui venait de publier un livre pour enfants semi-autobiographique, racontant l’histoire de « Freckleface Strawberry », une petite fille avec des taches de rousseurs, a vu son ouvrage interdit dans les écoles du ministère de la Défense, qui scolarisent plus de 20.000 élèves aux USA. Des établissements où l’actrice, fille de militaire, avait justement passé sa scolarité. Cet exemple a choqué puisqu’il concerne une célébrité, mais ce n’est qu’un cas parmi l’immense vague conservatrice qui déferle depuis plusieurs années.

En 2023 et 2024, le pays le plus riche du monde a fait interdire 10.046 ouvrages considérés comme « inappropriés » ou capables de « pervertir la jeunesse' », selon un décompte réalisé par l’ONG PEN America, qui travaille sur les droits humains dans la littérature. Par exemple la Bande Dessinée « Maus » qui raconte la Shoah, « Le Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley, ouvrage dystopique dénonçant le totalitarisme, ou encore « L’Œil le plus bleu » de Toni Morrison, prix Nobel de Littérature. Les livres pour enfants qui évoquent le racisme, l’histoire, la guerre, et qui sont rédigés par des auteurs et autrices non-blanches ou LGBT sont particulièrement visés.

Le 16 septembre 2023 dans le Missouri, le parti Républicain diffusait déjà des images sidérantes : deux élus du parti de Trump incendiaient au lance-flamme un tas de papier représentant des livres «wokes». Les sénateurs Nick Schroer et William Eigel se sont littéralement mis en scène sur les réseaux sociaux en train de faire un autodafé. Impossible de ne pas penser à la symbolique nazie, lorsque les groupes hitlériens brûlaient dans la rue les livres non-conformes et les œuvres qualifiées d’art «dégénéré».

Ces images montraient de façon crue l’ampleur du mouvement de censure contre les livres pour enfants. Un district du Tennessee venait de voter le retrait de la Bande Dessinée mondialement connue «Maus» de son programme d’études secondaires. Cela avait provoqué une scandale, qui avait poussé le district à revenir sur sa décision. Mais six ouvrages ont bien été retirés, dont «La Servante écarlate» de Margaret Atwood.

Ce mouvement d’interdiction vise les livres au contenu jugé pro-LGBTQ+ ou antiracistes. En octobre 2022, le secrétaire d’État du Missouri, Jay Ashcroft, a publié une règle pour supprimer le financement des bibliothèques qui ne restreignent pas l’accès aux documents «inappropriés» ou «lubriques». Étaient déjà particulièrement visés tous les livres relatifs à l’éducation sexuelle.

En 2022 en Floride, le gouverneur républicain Ron DeSantis votait la mesure «Don’t say gay» interdisant les discussions sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre dans les écoles. Il a aussi fait passer le «Stop Woke Act» visant à interdire l’enseignement des théories antiracistes. Le conseil de l’éducation de Floride a validé mercredi 19 juillet 2023 un nouvel enseignement de l’histoire des Afro-Américains : le programme devait parler des «bienfaits» de l’esclavage. Les nouvelles directives éducatives expliquent en effet que l’esclavage aurait permis aux Afro-Américains de «développer des compétences qui, dans certains cas, pouvaient être appliquées pour leur bénéfice personnel». On espère que les esclaves n’ont pas oublié de dire merci à leurs maîtres.

En parallèle, les USA sont aussi un pays où certaines écoles doivent enseigner les théories religieuse créationnistes, expliquant par exemple que Dieu a créé l’univers en 6 jours, 4000 ans avant Jésus Christ, au même niveau que la théorie évolutionniste, reposant sur la science. Tout se vaut.

Cette vague de censure s’inscrit donc dans le sillage du trumpisme, mais elle a commencé avant le retour au pouvoir de Donald Trump. Depuis plusieurs semaines, elle s’accélère brutalement. Un décret sur “L’abrogation Woke” a été publié par l’administration Trump il y a quelques jours. Le but ? Détruire au sein de l’administration toutes les politiques, programmes ou projets de recherche sur des sujets jugés “woke” et donc dangereux pour la sûreté de l’État : le réchauffement climatique et l’environnement, le genre, la diversité, la race, l’inclusion…

Pour faire simple, une IA va pouvoir identifier des mots clés, au nombre de 120 pour le moment, afin de geler les financements publics, supprimer des publications en ligne sur les sites de l’État… Toute référence au réchauffement climatique a été effacée de sites internet fédéraux. Certaines pages ont carrément disparu, ne laissant qu’un  « 404 Not Found ». Parmi les 120 mots interdits, on retrouve “femme”, “préjugé”, “justice environnementale”, “accessibilité”.

De son côté Elon Musk, qui utilise le réseau social X comme une arme pour fasciser le monde, envisage désormais de supprimer les Community notes, ces notes participatives destinées à corriger les fausses informations – un outil déjà très critiquable, car dépourvu de contrôle, et souvent utilisé par les internautes de droites pour contredire les publications de gauche. Mais selon le milliardaire, ces « notes » ne vont plus suffisamment dans son sens.

Dernièrement, plusieurs tweets totalement faux de Musk ont ainsi été ridiculisés par des Community notes sourcées. Musk avait aussi ré-ouvert des milliers de comptes suprémacistes, néo-nazis et antisémites après avoir racheté Twitter en 2022, avant de censurer de nombreux comptes de gauche. En France comme aux USA, le «free speech» est une arnaque utilisée par les réactionnaires pour imposer leurs idées insupportables dans le débat au nom d’une prétendue pluralité. Sauf qu’une fois au pouvoir, les mêmes réactionnaires n’hésitent pas une seule seconde à faire taire toute voix discordante.

Les États-Unis aiment se réclamer d’une «liberté d’expression» sans condition : il est légal de brandir un drapeau nazi dans l’espace public ou de diffuser le livre Mein Kampf. Cette «liberté» s’arrête désormais aux contenus écologistes, sociaux ou antiracistes.

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.

Laisser un commentaire