Corée : l’armée bombarde un village par erreur


« La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires » déclarait Georges Clémenceau, qui était pourtant un homme d’État répressif et belliciste, mais qui avait conscience de la bêtise dangereuse des militaires.


Des avions de chasse larguant des bombes lors d'un entraînement militaire.

Les explosions ont retenti jeudi 6 mars, en Corée du Sud, à 40 kilomètres seulement de la ligne de démarcation avec la Corée du Nord, une dictature qui dispose de l’arme nucléaire. Dans le cadre d’un exercice militaire, un avion de chasse de l’armée sud-coréenne largue «par erreur» des bombes sur un village proche de sa base. Pas une bombe ou deux, mais huit, sur des habitations civiles. Des vidéos de surveillance montrent d’énormes déflagrations soufflant des bâtiments. Par miracle, aucun mort n’est à déplorer, mais quinze personnes ont été blessées, dont certaines gravement. Et l’on n’ose imaginer les conséquences si ces munitions étaient tombées un peu plus loin, près de la Corée du Nord…

Selon la version de l’armée, un pilote aurait entré de mauvaises coordonnées pendant un exercice à munitions réelles. Aux manettes d’avions KH-16, un modèle proche des avions de guerres utilisés par les USA, deux pilotes ont envoyé des bombes MK-82 à effet de souffle et éclats, «hors du périmètre prévu».

Dès le lendemain de cet accident, les habitants du village se sont rendus à Séoul, la capitale, pour protester devant le ministère de la Défense. «Nous demandons l’arrêt des exercices militaires conjoints entre la Corée du Sud et les États-Unis. Nous espérons un rétablissement rapide des victimes. Arrêtez immédiatement les exercices militaires qui menacent la paix et la vie des habitants», a déclaré un représentant des manifestants.

Cette base militaire est dénoncée depuis longtemps par les riverains. Située près d’habitations, elle abrite le plus grand champ de tir militaire d’Asie de l’Est, et elle est utilisée pour des entraînements à balles réelles. «Ces exercices, bien qu’ils soient censés dissuader la guerre, créent de l’anxiété parmi les résidents» expliquent les habitants. Ce bombardement intervient alors que les États-Unis et la Corée du Sud lancent une série d’exercices militaires conjoints.

«Tirs amis»

Beaucoup de gens l’ignorent, mais une part non négligeable des morts et des blessés en temps de guerre sont causés par leurs propres troupes. En mai 2024, 5 soldats israéliens étaient tués à Gaza, et sept autres blessés par un «tir ami». Alors qu’ils se trouvaient dans un bâtiment, des chars israéliens ont repéré un canon de fusil dans l’une des fenêtres et, pensant qu’il s’agissait des forces ennemies, ont fait sauter le bâtiment où se trouvaient les soldats. Selon l’armée israélienne, deux à six de leurs soldats ont été tués chaque semaine par des tirs amis dans le cadre de l’opération à Gaza.

Le 22 décembre dernier, un avion militaire des USA était abattu «par erreur» par «un tir ami» en mer Rouge. La frappe venait d’un croiseur Étasunien. Entre 10 et 20% des pertes en temps de guerre sont des accidents au sein même des belligérants. On estime que lors de la première Guerre mondiale, 10% des blessés au combat l’ont été par leur propre armée, soit 2 millions de personnes. Dans la seconde Guerre mondiale : 14% des pertes totales, auraient été causées par des «tirs amis». 18 millions de soldats sont morts sur les champs de bataille européens. Donc plus de 2 millions ont été tués par accident, par leurs troupes. Durant la guerre du Vietnam, les USA ont reconnu un nombre de ces pertes de 11 à 14% du total pour les mêmes raisons. Depuis le XXème siècle, ce sont ainsi des millions de familles qui ont été endeuillées pour rien.

Entraînement et feux de forêt

Le 4 septembre 2020, 450 hectares partaient en fumée dans le camp militaire de Captieux, en Gironde. L’incendie avait pris dans un camp situé dans la forêt des Landes : plus de 500 terrains de football de zone naturelle réduits en cendre. Une cinquantaine de pompiers ont été mobilisés. Ce terrain sert de lieu d’exercice au tir pour des appareils de l’armée de l’air. Le feu a pris après un largage de munitions.

Sur ce même camp, des incendies avaient déjà eu lieu à cause des activités militaires : en mars 2017, 1300 hectares de végétation avaient été détruits dans l’enceinte du camp et encore 500 hectares en juillet de la même année ! Ce dernier incendie avait été déclenché par un tir de missile air-sol selon l’armée. Une équipe de pompiers est basée 24 heures sur 24 sur le site, au cas où. En 2014, un feu au même endroit avait dévasté 750 hectares. C’est donc monnaie courante.

Le 7 septembre 2020, un incendie se déclenchait sur une zone de tir d’un camp militaire dans la Marne, près de Paris. En 2003, un sinistre de plus grande envergure avait eu lieu sur ce camp : 400 hectares détruits.

La dévastation de végétation dans le cadre d’exercices militaires n’est pas une spécialité française. L’île italienne de Sardaigne abrite de grandes bases militaires en Méditerranée. En 2014, un incendie au cours d’un essai d’aviation militaire sur la côte ouest de la Sardaigne a détruit 35 hectares de maquis, et fait éclater la colère des habitants qui se sont mobilisés contre la présence militaire sur l’île.

En juin 2022 enfin, en pleine canicule, des militaires tiraient des obus dont une partie dans le parc naturel du Verdon, provoquant un gigantesque incendie qui a mis des jours à être maîtrisé par les pompiers. 1800 hectares sont partis en fumée. «Le feu a détruit des secteurs de grande biodiversité aux portes d’une des pépites naturelles de France, un grand site dont les paysages et la biodiversité sont mondialement reconnus» expliquaient les responsables du parc. Lors des opérations pour éteindre l’incendie, un pompier a été blessé par l’explosion d’un obus. À cette occasion, le colonel Jean Fernex de Mongex, répondait tranquillement : «Si on veut le risque zéro, on arrête de s’entraîner». Une bonne idée.

Chalutiers coulés

Les exercices militaires tuent aussi des pêcheurs en temps de paix. On se souvient du naufrage du Bugaled Breizh, un chalutier du Finistère, qui avait coulé subitement le 15 janvier 2004. Cinq marins bretons étaient morts. Il s’avère qu’un exercice militaire sous-marin de l’OTAN avait lieu dans la même zone au même moment. Des traces de titane ont été retrouvées sur un câble du chalut. Il semble que le bateau ait été entraîné par le fond par un sous-marin militaire, mais l’État n’a jamais voulu reconnaître sa responsabilité dans cette affaire.

D’autres cas semblables ont eu lieu. Dans les années 1980, le bateau de pêche Shéralga était coulé en mer d’Irlande et, après avoir menti, la Royal Navy avait reconnu la responsabilité d’un sous-marin et indemnisé les familles. En avril 2015, au large de l’Irlande, le filet d’un chalutier était accroché par un sous-marin. Le 12 juillet 2016, le sous-marin portugais Tridente a emporté le filet d’un bateau de pêche.

On pourrait citer bien d’autres exemples dramatiques, notamment les avions de ligne visés «par erreur» par des militaires, et dont tous les passagers sont morts. Les individus armés qui détiennent du pouvoir et le monopole de la violence se moquent des vies et de la nature. Pour eux, il n’y a pas de «risque zéro», seulement des dommages collatéraux.

Alors que l’Europe et le monde se militarisent à toute vitesse, que les marchands de canon vendent à profusion, que les armées vont multiplier les exercices et que nos dirigeants nous préparent à la guerre, gardons en tête le danger intrinsèque des armes de guerre et l’irresponsabilité de ceux qui les utilisent, même en temps « de paix ».

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Une réflexion au sujet de « Corée : l’armée bombarde un village par erreur »

  1. « Ceux qui aiment marcher en rangs sur une musique : ce ne peut être par erreur qu’ils ont reçu un cerveau, une moelle épinière suffirait amplement »

    Albert Einstein

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