Allemagne : une mobilisation anti-guerre interdite car le slogan d’appel serait « guerrier »


Inversion du réel : les autorités allemandes veulent empêcher un rendez-vous contre une entreprise d’armement car le mot d’ordre «guerre à la guerre» est considéré comme violent


Des obus sortant de l'usine Rheinmetall, en Allemagne : c'est cette usine que le camp "Guerre à la guerre" entendait dénoncer, mais le slogan serait trop violent.

L’Allemagne est décidément dans tous les bons coups. Répression totale des mobilisations pour la Palestine, car le soutien à Israël est officiellement considéré comme une «raison d’État» par le gouvernement allemand, et que rien ne peut s’y opposer. Toujours du mauvais côté de l’histoire : pour expier le génocide des juifs, l’Allemagne soutient un autre génocide. Le pays connaît en parallèle une poussée fulgurante de l’extrême droite néo-nazie, avec un parti décomplexé, l’AfD, qui rafle 20% des voix et qui est le premier parti dans plusieurs régions.

Surtout, l’Allemagne est en train de redevenir kaki : le gouvernement débloque des sommes astronomiques pour réarmer et faire grossir la Wehrmacht, il veut en faire l’armée la plus puissante d’Europe, envisage de rétablir le service militaire, ouvre de nouvelles usines de bombes et a réinstauré les cérémonies pour les anciens combattants… Tout cela est en soi très inquiétant.

Dans ce contexte guerrier, une riposte antimilitariste s’organise, mais elle a bien du mal à se faire entendre. Un camp contre l’entreprise Rheinmetall devait avoir lieu à partir du 26 août à Cologne. Rheinmetall, c’est l’une des entreprises phares du complexe militaro-industriel allemand. Elle a réalisé des profits colossaux pendant la Première guerre mondiale, a armé les troupes nazies sous le troisième Reich et a traversé les époques en faisant des affaires florissantes sur la guerre et la mort.

En juin 2023, 900 ouvriers ont été transférés de la firme automobile Continental vers ce géant de l’armement. En 2024, l’armée allemande achetait à cette entreprise des obus pour plus de 8,5 milliards d’euros, le contrat le plus important «de l’histoire récente» se félicitait Rheinmetall. L’entreprise vient également de signer un partenariat avec la start-up israélienne Uvision pour équiper l’armée germanique de drones kamikazes. Uvision produit les drones tueurs utilisés contre les palestiniens. Enfin, Rheinmetall fabrique des armes de maintien de l’ordre, et fournit par exemple des «unités d’élite» de la police française telles que la BRI et le RAID en grenades explosives et aveuglantes. À la bourse de Francfort, les actions de Rheinmetall ont bondi de 164% en 2025 grâce au réarmement allemand et européen. Les profiteurs de guerre accumulent déjà des gains colossaux. Il y a donc de nombreuses raisons légitimes de cibler cette firme malfaisante.

La police de Cologne vient pourtant d’annoncer l’interdiction du camp «Désarmement de Rheinmetall», qui devait se tenir à Cologne du 26 au 31 août. Elle repose sur une série de sous-entendus malhonnêtes et d’accusations décrivant les participants comme «inquiétants». Parmi les motifs pour interdire la mobilisation : le slogan «Guerre à la guerre», utilisé par le mouvement, prouverait la volonté des contestataires de s’en prendre au réarmement par des «moyens guerriers». Vous avez bien lu : pour protéger une entreprise responsable de morts innombrables, on accuse les antimilitaristes d’être trop guerriers…

Après tout, dans ce monde où plus rien n’a de sens, les antifascistes sont traités de fascistes, les féministes sont accusées d’être responsables du machisme, alors autant y aller à fond. Mais là, il fallait y penser.

Le slogan «Guerre à la guerre» est réapparu en France ces derniers mois : il s’agit d’une grande coalition contre la guerre et l’industrie des armes, qui a mené une première action d’envergure contre le salon de l’armement du Bourget. Mais ce slogan a une histoire : le mot d’ordre «Guerre a la guerre» existe depuis plus d’un siècle. Jean Jaurès, grande figure socialiste, l’a prononcé dans ses discours pour empêcher la Première guerre mondiale. Le mouvement syndical proclamant «Guerre à la guerre» dès la fin du XIXème siècle. Tout l’histoire de la gauche repose alors sur un internationalisme et un antimilitarisme intransigeants. En 1908, lors d’un congrès national, la CGT rappelle officiellement que les travailleurs n’ont pas de patrie et qu’en cas de guerre, ils doivent non seulement refuser de s’engager mais aussi répondre par la grève générale révolutionnaire.

Le Parti socialiste organisait en 1913 un immense meeting réunissant 150.000 personnes à Paris contre l’allongement du service militaire. Il s’agit de la plus grande manifestation antimilitariste avant 1914. En octobre 1912, le député allemand socialiste Karl Liebknecht écrivait une lettre ouverte aux socialistes français : «Le capitalisme est la guerre – le socialisme est la paix. Le socialisme aura-t-il la force de refréner la furie de la guerre ? Il aura cette force si le prolétariat de France, d’Angleterre, d’Autriche et d’Allemagne fait son devoir».

Ce slogan est diffusé par les gauches de tous les pays. En 1925, le militant anarchiste allemand Ernst Friedrich fonde le premier musée antimilitariste à Berlin : l’Anti-Kriegs-Museum, le Musée anti-guerre. Un an plus tôt, il avait publié un ouvrage intitulé Krieg dem Kriege, c’est-à-dire Guerre à la guerre, afin de documenter et dénoncer l’horreur des tranchées. Son musée et sa collection sont détruits par les nazis en 1933, qui transforment le bâtiment en lieu d’exposition des SA. Ernst Firedrich va rejoindre la résistance française sous l’occupation, sauver des enfants juifs de la déportation et fonder, après la Libération, une île de la Paix en région parisienne, où il passera la fin de sa vie. Un Anti-Kriegs-Museum sera reconstruit à Berlin en 1982, après sa mort.

Les autorités allemandes ne se contentent pas de tordre le réel. Elle criminalisent un slogan constitutif de l’histoire sociale depuis plus d’un siècle. Un slogan antimilitariste qui a montré, le siècle dernier, à quel point il était juste et qui reste, aujourd’hui plus que jamais, d’actualité.

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